«Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent»: la cause verte s’autodétruira-t-elle?

L’annonce, le 6 avril, par Steven Guilbeault, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, du feu vert d’Ottawa au grand projet pétrolier Bay du Nord ne pouvait pas mieux tomber pour illustrer une anxieuse interrogation. Son ex-compagnon de lutte écologiste Hugo Séguin écrit : « Sauver la planète tout en stimulant la prospérité économique est un énorme pari sur l’avenir. Et si cela ne fonctionnait pas ? »
L’annonce de Guilbeault consterne puisqu’elle survient seulement quelques jours après la publication d’un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui souligne qu’il ne reste que trois ans à la planète pour plafonner les émissions de gaz à effet de serre en renonçant à de nouveaux projets pétroliers. Dans son essai Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent, Séguin craint l’autodestruction inconsciente qui menace l’écologisme et cause le désarroi.
Plus d’une fois, le livre lucide évoque en l’admirant la démission surprise en 2018 de l’écologiste français Nicolas Hulot, devenu dans son pays ministre de la Transition écologique. Mais, hostile à ce qu’il appelle la stratégie « des petits pas », l’homme politique finira par déclarer : « Je ne veux plus me mentir [en donnant] l’impression que ma présence dans ce gouvernement signifie qu’on est à la hauteur » des enjeux.
Séguin aurait-il reproché à Guilbeault de ne pas avoir imité Hulot ? En tout cas, Greta Thunberg, souligne-t-il, nous invite à un « nécessaire radicalisme », car son « discours sans compromis ne fait pas dans la dentelle ». On imagine l’adolescente suédoise fusiller du regard Guilbeault comme un renégat de la cause verte, elle qui admire la vigueur de l’encyclique écologiste (2015) du pape François qui provoque, note Séguin, « un silence un peu embarrassé » des conservateurs, même catholiques.
L’essayiste acclame Nicholas Stern lorsque celui qu’il qualifie de « grand économiste britannique du climat » soutient qu’« une bonne partie » des réserves « d’hydrocarbures (charbon, pétrole et gaz naturel) devaient rester dans le sol, inexploitées, si on voulait respecter les objectifs mondiaux » de protection de la nature. L’idée, qui aurait été jadis jugée radicale, appartient aujourd’hui au courant écologiste dominant dont Séguin se réclame sans pour autant dédaigner les courants plus frondeurs.
Pour Séguin, les hurluberlus d’hier deviennent souvent des novateurs inspirants. Son expérience d’enseignant à l’Université de Sherbrooke le suggère. Malgré le déclin de la participation électorale de la jeunesse en politique, la passion pour la survie de la planète reste vive, au point que, dans l’esprit des étudiants, le comble du radicalisme, la foi en la nécessité de la décroissance matérielle — cette chimère pour Guilbeault — ne cesse chez eux de grandir.
Extrait de «Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent»
« Cet essai lance finalement un appel au dialogue entre militants et militantes, entre ceux et celles qui sont relativement mainstream, comme moi, et ceux et celles qui adhèrent plus ou moins consciemment au courant anarchiste et antisystème qui traverse aussi notre mouvement. »