Roman québécois: Retour sur deux grands Canadiens d'antan

Le titre de cette nouvelle collection, emprunté à Jacques Viger, dit bien les intentions des deux auteurs qui y sont maintenant réédités, Arthur Buies et Napoléon Aubin. Dans Ma saberdache, Viger avait rapaillé dans une quarantaine de cahiers des écrits divers, littéraires ou non, qu'il voulait par là sauver de l'oubli; on sait que James Huston a, à la fin du XIXe siècle, amplement puisé dans ces cahiers lorsqu'il a constitué son Répertoire national. Les fondateurs de cette collection, Marilène Gill et Mario Brassard, veulent faire un peu la même chose, en exhumant des textes parus entre la Conquête et 1900, devenus pratiquement introuvables et qui méritent, selon eux, un «recomptage» littéraire de la part de la postérité.

Le Buies qu'on lira ici n'est plus l'aventurier ou le pamphlétaire anticlérical qu'il a été au début de sa courte vie. En 1893, huit ans avant sa mort, c'est un homme assis, attaché au curé Labelle et qui semble revenu de bien des déconvenues. Les Réminiscences, très datées, sont la transcription d'une causerie où, cédant à la nostalgie, il brosse le portrait de sa propre génération, de personnages connus ou de quidams qui ont grandi comme lui vers le milieu du XIXe siècle et ont «formé le trait d'union entre une société qui s'éteignait et une société nouvelle qui s'annonçait avec des goûts, un esprit et un genre inconnus jusque-là. D'un côté nous tenions aux fusils à pierre, et de l'autre nous chargions par la culasse».

Dans Les Jeunes Barbares, Buies a la plume plus acérée, mais il apparaît plus censeur que pamphlétaire. Critiquant des articles parus dans des journaux de l'époque, il en profite pour tancer les jeunes gens qui s'adonnent à la littérature, qui massacrent la langue et écrivent des sottises. Il assure qu'on enseigne mieux le français dans les collèges anglophones que dans les établissements canadiens-français et affirme, dépité, que «tout est à refaire dans ce pays-ci», où il y a si peu de professeurs compétents qui sauraient enfin inculquer un certain sens de la rigueur — notamment linguistique — à leurs élèves.

Si ces deux textes de Buies n'ajoutent pas grand-chose à sa réputation, la publication de Contes et récits de Napoléon Aubin a le mérite de rappeler à notre mémoire leur auteur, injustement oublié alors qu'il a été un acteur important dans les débats d'idées qui ont eu cours au XIXe siècle. Aubin a eu une vie aussi riche et agitée que celle de Buies. On en aura un vague aperçu dans la présentation qu'en font Gill et Brassard. Mais pour mieux apprécier l'envergure du personnage, il faudra lire la biographie que lui a consacrée Jean-Paul Tremblay (1).

Une vie mouvementée

Né en 1812 dans les environs de Genève — qui était à l'époque une ville française —, Aubin émigre aux États-Unis à seize ans, se disant négociant. On ne sait pas ce qu'il y a fait, sinon qu'il est devenu correspondant pour le journal La Minerve — il aura même, à ce titre, des entretiens privés avec le président des États-Unis. Puis, il traverse la frontière et s'installe à Québec pendant 20 ans. Il sera d'abord courriériste parlementaire avant de fonder, à 24 ans, Le Fantasque, un journal satirique qu'il écrit à lui tout seul. Aubin a fréquenté Étienne Parent et Ludger Duvernay, il a eu des amitiés durables avec Philippe-Aubert de Gaspé fils et Louis-Joseph Papineau. Imprimeur, membre actif de l'Institut canadien, il a de plus enseigné la chimie à l'École de médecine de Québec — avec beaucoup de compétence, semble-t-il —, alors qu'il n'avait pas fait d'études sérieuses dans ce domaine. Il a par ailleurs inventé un dispositif d'éclairage au gaz qui porta son nom et fut utilisé dans plusieurs villes d'Amérique du Nord.

Ce fils de potier est mort paisiblement en 1890 dans sa maison de la rue Saint-Denis à Montréal, laissant derrière lui diverses énigmes: sur son prénom — il s'appelait Aimé-Nicolas — et sur son appartenance religieuse. Il a été enterré dans le cimetière protestant du mont Royal alors qu'il avait été marié très catholiquement à une femme avec qui il avait eu des enfants...

Aucun des huit Contes et récits publiés ici ne raconte la vie rocambolesque de leur auteur, et c'est bien dommage. Ces textes ont paru dans La Minerve, puis dans Le Fantasque d'Aubin. Quelques-uns ont été repris dans le premier volume du Répertoire national de Huston. Seul l'avant-dernier, Mon voyage à la lune, a paru plus récemment, dans la revue Imagine, il y a une vingtaine d'années. Dans ce récit inachevé, qui de l'avis de plusieurs est le plus intéressant, la vigueur du journaliste de combat apparaît. Aubin s'y moque de ses contemporains — des jeunes et des médecins, en particulier — en reprenant le bon vieux procédé de la transposition dans un cadre imaginaire, comme l'avaient fait avant lui Cyrano de Bergerac et Jonathan Swift, notamment.

Pour le reste, on trouvera des textes tout pénétrés d'un romantisme emprunté à Chateaubriand et à Lamartine, agrémentés, dans Un Joconde noir, d'une touche d'exotisme. Et dans plusieurs, une misogynie tenace dont Aubin, dit-on, a parfois eu à se défendre. Destinés à agrémenter la lecture des journaux où ils ont paru, ils ont été écrits à la va-vite, comme en témoignent des hiatus dans les récits, des repères spatiotemporels peu clairs et de nombreuses adresses aux lecteurs, sans oublier les «charmantes lectrices»...

Aubin aimait la littérature. Il en avait lu et s'y connaissait un peu. Mais on voit bien qu'il n'ambitionnait pas de laisser une oeuvre. Une entrée dans le monde pourra rappeler vaguement le Adolphe de Benjamin Constant. Le Bal ou L'homme propose et la femme dispose préfigure le Maupassant de La Parure.

On retiendra surtout de cette réédition la figure de l'homme, très supérieur à son oeuvre littéraire, qui a été un pionnier à bien des égards. Il mérite, lui, un «recomptage» historique.

(1) Jean-Paul Tremblay, À la recherche de Napoléon Aubin, Presses de l'Université Laval, Sainte-Foy, 1969, 189 pages.

Réminiscences

Suivi de:

Les Jeunes Barbares

Arthur Buies

Contes et récits

Napoléon Aubin

Éditions Trois-Pistoles, coll. «La Saberdache»

Trois-Pistoles, 2002, respectivement 159 et 205 pages

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