Récit - Une dette intime

L'intention était louable, la dette, très grande. Jean-Pierre Denis ne voulait pas directement répondre à l'impératif du devoir de mémoire: «Zakhor, souviens-toi. [É] Tu répéteras à tes enfants», mais plutôt suivre «un certain sentiment d'une dette intime, libellée sans montant exact, sans nom précis de créancier, avec une liberté absolue quant aux moyens de s'en acquitter». C'est ce qui lui permettra de construire un récit humanitaire fortement teinté de pensée religieuse. La tentation était forte: deux religieuses des Filles de Notre-Dame ont sauvé, caché, gardé, éduqué et parfois baptisé quatre-vingt-trois enfants juifs, près de Toulouse, de décembre 1942 à juillet 1944. Parmi eux, la mère de l'auteur. De là, ses propos condamnent mollement le mutisme de l'Église catholique; ils honorent, par ailleurs, l'engagement d'un évêque, celui des religieuses, Mme Bergon et Mme Roques, au couvent de Massip, et celui des paysans de l'Aveyron.

Nos enfants de la guerre

Jean-Pierre Denis

Le Seuil

Paris, 2002, 271 pages

Le récit des survivants — les filles gardées au couvent, les garçons envoyés dans les fermes — devenus des adultes, ou même celui des enfants de ces enfants, est pauvre: le traumatisme gardé secret, jamais élaboré, se transforme difficilement en belles phrases. Georges Perec, ailleurs, en a montré la limite dans ses souvenirs d'enfance ou ses «Je me souviens». L'ombre de la guerre, du danger et de la peur plane sur la détermination de ces religieuses. Leur humanité, leur protestation, leur «résistance» face à la politique antisémite de Vichy sont remarquables. Témoignage d'un «contrepoint à la collaboration catholique» (le propos est d'actualité), le travail de Jean-Pierre Denis dévie bientôt vers la fondation, au XVIe siècle, des Filles de Notre-Dame et vers les aléas de la «fabrication d'une sainte» au sein de l'Église catholique. On le voit, cette dette l'entraîne très loin.

À la fin, parmi les considérations sur la mémoire, l'écriture et la rédemption, l'auteur souligne: «Et rien qui ne soit juste dans ces lignes, conforme aux faits; pourtant, je le sais, cela sonne faux, en partie.» Faux, peut-être, mais surtout affecté de sentimentalisme et de mièvrerie.

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