Littérature anglo-saxonne - L'enfant et le desperado

Découvrir un auteur. Dans le plaisir des mots, des phrases, dans la truculence des images et la beauté des personnages. Paul West, né en Angleterre, vit maintenant aux États-Unis. Deux romans paraissent en même temps et l'ancrent dans ces deux pays. Le premier, un récit d'enfance, le ramène à son village anglais. Le deuxième, franchement américain, reprend une légende de la fin du XIXe siècle, celle de John Holliday, dit Doc, un dentiste dont l'histoire a déjà servi de matériau à plusieurs films westerns.

Mother's Music est un vibrant hommage que West rend à sa mère. Et à la musique. À sa mère pianiste, concertiste contrariée, qui lui a donné l'intérêt pour les mots, pour la musique, pour la vie. «C'est en hommage à ce que je lui dois à tous égards que j'entreprends ce mémoire en forme de fugue, moi l'illettré musical qui écoute de la musique symphonique, de Walton à Rubbra, de Harris à Sessions, une demi-douzaine d'heures par jour. Elle avait toujours à la main le Thesaurus de Roget, comme il sied à une amoureuse des mots; pour elle, c'était une sorte d'instrument de musique, plein de choses nouvelles à dire.»

Longue et belle fugue, en effet, que ce récit plein de finesse, d'humour subtil, de tendresse: scènes émouvantes au cinéma, au bord de la mer, dans la lumière de la chambre d'écriture, dans la musique qui se joue ou ne se joue pas. De l'enfance jusqu'à la vieillesse, la grande vieillesse de la mère qu'il vient visiter. Sa mère se fait presque centenaire; elle «rendait la mémoire élastique, elle ouvrait les pores du temps, en révélant de nouveaux.» Puis, «Maman est le symbole d'elle-même [É]. C'est une figure de proue. La statue de toutes les énergies qu'elle a connues. Comment aurais-je pu la résumer? Elle s'estompe cérémonieusement [É].» Ainsi la fin ou la mort, sans la nommer, sera un mauvais tour que la vie jouera autant à la mère qu'au fils: «Elle aperçoit quelque chose que je ne vois pas, plus proche que jamais, et qui l'anéantira.»

On voudrait, avec Paul West, comme un enfant, comme un adulte, avoir autant aimé cette mère. On voudrait avoir été cette mère qu'il a tant aimée.

Le pistolero imaginaire

Tout autre est ce deuxième livre de West. Mother's Music date de 1996, sa traduction nous arrive maintenant. Tandis que Doc Holliday, de son titre original: O.K. Corral, the Earps, and Doc Holliday, date de 2000. Roman d'Amérique dont l'action se passe il y a plus de 100 ans. Si quelques anachronismes s'y faufilent, il faudra y voir des traces de l'humour de l'auteur. Sorte de Montagne magique (Holliday ne s'est-il pas inventé des études à Heidelberg?) que cette épopée fabuleuse d'un tuberculeux qui crache sur son chemin le sang de ses poumons et celui de ses coups de feu. Tout en espérant une guérison qui devient en plus en plus mythique. Comme son personnage: médecin manqué, tête brûlée, mal aimé, desperado du western. «L'aimait-on, ce blond aux yeux bleus, plutôt mince malgré un visage empâté? Certains disaient qu'il était mort des yeux aux pieds, tandis que d'autres estimaient le compagnon spirituel et imprévisible.»

Non seulement Doc est-il une légende, mais il se fabrique des vies. Il s'invente des tueries ou fait siennes celles que lui prêtent les autres cow-boys. La mort rôde partout. Celle qu'il porte en lui avec son bacille. Celle qu'il observe en témoin (il s'intéresse au regard de ceux qu'il abat, ni impassible, ni sentimental, sans haine, juste paradoxal); la mort qu'il distribue en bon pistolero, celle qu'il côtoie, celle qu'il combat.

Fiancé au six-coups, il aime aussi les femmes. S'embarrasse d'une putain querelleuse qu'il finit par délaisser. Mais, surtout, il est pris d'un désir fou pour une cousine religieuse avec laquelle il entretient une longue correspondance. Cela donne les plus belles pages de cette légende où West prend la liberté de faire apparaître cette nonne, qui, de loin, fébrilement, suit à la trace, au mot, les faits et gestes du héros. Doc et elle sont liés par l'amour de la poésie et par la mort qu'ils portent, «le consomptif et l'assomptive», chacun à sa manière: elle, au fond de son couvent; lui, souffreteux sur son cheval. Ainsi la bataille de O.K. Corral sera-t-elle décrite par cette nonne avant que d'être reprise par le héros. De cette réfraction de l'écriture jaillit une intensité dont aucun film n'aura encore su rendre compte.

Le livre refermé, celui-ci comme le précédent, l'on s'ennuie des personnages. De cette écriture imaginative. Du grand plaisir d'écriture auquel le lecteur est sans cesse convoqué. Comme à un banquet où fusent, outre l'excellence du repas, les références littéraires, l'humour, les évocations cryptées aux acteurs de la politique américaine. Et de la musique, partout. Reste à courir pour lire les livres précédents; ils ne pourront pas être décevants. Et de guetter les nouvelles traductions de cet auteur. Beau comme un amour de vacances; fait pour durer.

Mother's Music

Paul West

Traduit par Jean Pavans

Gallimard, nrf, Haute Enfance

Paris, 2002, 323 pages

Doc Holliday

Paul West

Traduit par Rémy Lambrechts

Gallimard, nrf, Du monde entier

Paris, 2002, 407 pages

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