Entrevue avec Chrystine Brouillet - La chevauchée diabolique

Le dernier livre de Chrystine Brouillet est un hybride qui tient à la fois du policier, du fantastique, du roman historique, du roman d’amour et du roman d’aventure.
Photo: Jacques Grenier Le dernier livre de Chrystine Brouillet est un hybride qui tient à la fois du policier, du fantastique, du roman historique, du roman d’amour et du roman d’aventure.

Avec Les Quatre Saisons de Violetta, Chrystine Brouillet plonge dans le monde des sorciers avec une sensibilité qui nous le rend presque normal, passant du réel à l'irréel sans aucune retenue. C'est qu'elle y croit, l'auteure, à la sorcellerie, et aux esprits, et aux dons aussi. Et elle veut y croire: «Pourquoi pas? L'idée est trop charmante!»

Dans son salon «plateaunique», Chrystine Brouillet amalgame l'histoire, l'art et le fantastique, voire la gastronomie et la magie avec une aisance étonnante. Se demande pourquoi diable les humains seraient la seule présence vivante dans l'univers. Assure que les sorciers existent: «Les sceptiques? Je les plains!»

«Je ne sais pas quoi mais je suis certaine qu'il y a autre chose au delà de notre environnement connu. Pourquoi n'y aurait-il pas de fantômes? Pourquoi n'aurions-nous qu'une vie? J'achète tout ça, moi.» Et elle le vend bien!

Il faut dire que, chez Brouillet, la magie blanche ratisse bien large. À sa sortie d'un spectacle de Daniel Bélanger, elle «venait de voir un enchanteur», se disait-elle. «Les gens qui rendent notre univers agréable, les créateurs, ce sont des magiciens. L'humain atteint parfois des sommets: quand on voit un tableau extraordinaire, quand on réalise que Bach est encore joué quelques siècles après sa mort et qu'il crée les mêmes émotions, quand on lit un roman et qu'on oublie tout le reste, c'est de la magie, ça.»

Mais on pense toujours que le monde des sorciers est formidable, poursuit-elle, qu'il permet de se faire obéir au doigt et à l'oeil par les gens et les choses, comme dans Ma Sorcière bien-aimée. «Peut-être est-il plutôt ennuyeux parce que dépourvu d'émotions et insensible à l'art créé par les hommes? Finalement, on est assez chanceux d'être humains: comment pourrions-nous vivre sans art?»

Les parfums de Violetta

À l'image de son personnage principal Violetta, moitié humaine moitié sorcière, le dernier livre de Chrystine Brouillet est un hybride qui tient à la fois du policier, du roman historique, fantastique, d'amour et d'aventure. «J'y ai mis tout ce que j'aime, lâche-t-elle simplement. Et Violetta m'a été inspirée par la nécessité de créer un individu suffisamment fort pour résister à Lorenzo, le sorcier fou et cannibale.»

En toile de fond de l'histoire de 700 pages, quatre siècles marquants: la Venise de Vivaldi, le Chicago d'Al Capone, le Paris de l'Occupation et finalement l'an 2000. Tous les faits historiques sont documentés, assure-t-elle, soutenus par une centaine de bouquins.

Si la recherche a été amorcée en 1995, la rédaction des Quatre Saisons de Violetta a nécessité deux ans de travail. «C'est le livre qui m'aura le plus marquée par les lectures que j'ai dû faire pour l'écrire et certains passages qu'il me fallait bien rendre. En décrivant un univers extrêmement sombre, lourd et triste comme le ghetto de Varsovie, par exemple, on ne peut pas être en appétit le soir après avoir traité de famine toute la journée. Aborder cet aspect était très périlleux pour moi: je ne voulais surtout pas être irrespectueuse envers les victimes de l'Holocauste.» Comme ces touristes qui mettent indistinctement à leur itinéraire l'arc de Triomphe, Disneyworld et les fours crématoires, devant lesquels ils se font photographier, filmerÉ s'indigne l'auteure.

Brouillet s'y est rendue, à Varsovie, puis à Cracovie et à Auschwitz aussi. Pour rendre justice aux faits, dit-elle, ce qui a d'ailleurs modifié son plan: «Certaines scènes du livre devaient se passer à Auschwitz, mais à mon retour j'ai eu le sentiment que ce serait là utiliser quelque chose d'extrêmement grave pour servir mon histoire; c'était trop. Personne de mon entourage n'a été confronté à ce terrible épisode. J'ai alors décidé de faire raconter les événements, d'en traiter indirectement.»

«Heureusement qu'il y avait des moments pour respirer dans ce que je raconte.» Ces moments, Chrystine Brouillet les puise entre autres dans l'univers des parfums dont elle fait une passion personnelle et dont elle a aussi doté Violetta. Et son constant souci d'exactitude l'a poussée à suivre un cours de parfumerie à Paris: d'ailleurs, elle ne rate pas une occasion d'en faire sentir les effluves.

Les portes du merveilleux

Celle qui peut écrire cinq à six heures par jour, cinq jours par semaine incluant le dimanche, vante les mérites de sesÉ jeudis de congé. «J'ai toujours adoré le jeudi. Je pense que ça vient de mon enfance alors que Thierry la fronde était diffusé cette journée-là et que j'en étais follement amoureuse!» Le personnage de Fanfreluche l'a également captivée: «Je lui dois une partie de ma carrière d'écrivain; Kim Yaroshevskaya m'a ouvert les portes du merveilleux.»

Amoureuse, elle l'a été aussi de son professeur de françaisÉ à 12 ans. Elle lui avait dit: «Quand je serai grande, je serai écrivain et je vais vous dédier mon premier livre.» Ce qui fut fait... et il se souvenait d'elle. «Mais il faut être un peu inconscient et ne pas trop réfléchir pour se lancer dans ce métier-là. Je m'étais donné dix ans comme limite à la "misère". Dix ans à manger des pâtes et du riz, de toutes les manières imaginables, ça me semblait assez!»

Cet exercice de nécessité vitale a-t-il aiguisé son emballement pour la gastronomie? En tout cas, il lui vaut aujourd'hui de tenir une chronique bihebdomadaire à l'émission L'ÉtéÉ c'est péché!, à la télévision de Radio-Canada.

Et Brouillet ne manque pas, encore une fois, d'en référer au fantastique. «On peut avoir des émotions en mangeant des choses extraordinaires, qui peuvent même nous mettre les larmes aux yeux. La gastronomie est un art, au même titre que la musique ou la peinture. Et les gens qui inventent des plats sont aussi des magiciens. Brillat-Savarin a dit que la découverte d'un mets nouveau fait plus pour l'humanité que la naissance d'une étoile: je suis assez d'accord!»

Ses livres de chevet? Les bouquins de cuisineÉ pour compenser les histoires parfois rocambolesques des polars qu'elle se farcit. Mais comme on s'en doute, Chrystine Brouillet s'intéresse à tous les genres littéraires, par intérêt personnel et par nécessité professionnelle, mais pour se faire plaisir, c'est encore le roman policier. On ne se refait pas.

Si l'auteure s'est déjà attaquée à un autre épisode de sa Maud Graham, le monde des parfums est dans sa mire: «Un cercle dans lequel les couteaux volent bas, très bas!, dit-elle en renversant la tête en arrière comme pour ajouter à l'affirmation. Où la maison Chanel, par exemple, est mieux protégée que la Maison-BlancheÉ»

On imagine déjà, sous la plume de Chrystine Brouillet, l'histoire fascinante qui peut être construite à partir de cet univers de gros joueurs et de gros sous... où ça ne sent pas toujours bon. On l'attend. Et certainement pas dans une autre vie.

Les Quatre Saisons de Violetta
Chrystine Brouillet
Denoël
Paris, 2002, 702 pages

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