Biographie - Éva Senécal à l'ombre du Mégantic

Dans le village de La Patrie, au milieu des années 1930, le député conservateur local, Samuel Gobeil, fricotait avec les nazillons d'Adrien Arcand, les Goglus, lesquels s'inspiraient moins d'Hitler, comme on l'a souvent cru, que d'Oswald Mosley, un ancien ministre britannique aussi chic que dangereux. Un discours de Gobeil à la Chambre des communes, «La griffe rouge sur l'Université de Montréal», fut alors publié en brochure par les supporteurs d'Arcand. En couverture, une croix gammée, cette araignée gorgée de sang, sur un fond jaune vif. Cela donne déjà une petite idée, pour dire le moins, de l'univers sociopolitique dans lequel macérait Gobeil et, dans une certaine mesure, son comté de Compton, un immense territoire de colonisation des Cantons-de-l'Est encore presque neuf où la religion occupait dans les esprits presque autant d'espace que la forêt.

Au petit village de La Patrie, dans ce climat que l'on imagine, une jeune femme du nom d'Éva Senécal s'affirme néanmoins de façon éclatante grâce à sa plume. Poète et romancière, son oeuvre est jugée fraîche, sensible, nouvelle et vive par ses contemporains.

Au mieux, son oeuvre n'apparaît plus aujourd'hui que telle de la lave froide. Pour tout dire, Éva Senécal est aujourd'hui inconnue, sinon à Sherbrooke, essentiellement parce que la bibliothèque municipale, un édifice presque neuf, porte son nom.

Pourtant, cette femme énergique a compté dans l'histoire de nos lettres. Au temps de sa gloire littéraire, elle correspond entre autres avec Alfred DesRochers, qui l'honore de son affection autant que de ses conseils et de son sens aigu du pays comme tremplin nécessaire pour atteindre l'universel. Lucide, il ne se gêne pas pour critiquer sa consoeur. L'auteur d'À l'ombre de l'Orford reproche notamment à cette fille de paysan le choix de son univers d'écriture absolument bourgeois et déraciné. Dans son roman intitulé Mon Jacques!, Éva Senécal écrit autour des tribulations d'un violoniste brillant et d'une chanteuse d'opéra dans l'univers cossu de Westmount... DesRochers écrit: «Ce serait à La Patrie que je ferais vivre mes personnages. Parce qu'après tout, il y a ici comme ailleurs des gens capables d'aimer, de souffrir (les deux synonymes) et de mourir!»

Les maux de l'amour la mènent à abandonner les Cantons-de-l'Est pour Montréal. Elle s'en va travailler à CKAC, puis revient s'installer à La Patrie, capitale de son enfance, qu'elle quitte de nouveau, cette fois pour Ottawa. Rédactrice au ministère des Affaires étrangères, elle collabore à plusieurs journaux, dont La Tribune, La Revue moderne, Le Bulletin des agriculteurs et Le Soleil. Mariage, angoisses, séparation et maladies n'ont jamais raison tout à fait de sa passion des lettres. Sa biographie, inattendue, oeuvre de François Hamel-Beaudoin, insiste justement peut-être trop sur les douleurs de l'amour pour qu'on puisse bien saisir son bonheur au pays de la littérature.

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