«Mouvements» et «Nouées»: mémoire d’une femme en mouvement

Jetant un œil derrière elle, sondant la profondeur d’une vie passée quelque part entre deux mondes, Catherine Voyer-Léger fait de Mouvements et de Nouées deux espaces pour amarrer ses souvenirs. Comme une manière de fixer le temps.
« J’écoute à répétition la même chanson d’Avec pas d’casque : “ Tu diras… tu diras que c’est l’instinct qui t’a mené jusqu’ici […] Et ce sera ton camp de base. Et ce sera ton camp de base…” Je n’ai pas ça, un camp de base », énonce la narratrice en amorce de Mouvements, un récit atypique tout juste paru chez Prise de parole. Flottant, dit-elle, « entre deux valises, une brassée de linge en retard […] entre des pluies froides de fin de soirée […] Entre le désir des uns, le désert des autres », cette femme valse entre des lieux aimés, étonnants, bouleversants, depuis Montfort jusqu’à Ville-Marie en passant par Le Bic, et un présent de mère qu’elle tente d’amarrer.
Elle sillonne ainsi sa mémoire, son enfance, l’autoroute des Laurentides — qu’elle connaît par cœur — puis s’arrête à ces différents « intérieurs » — nuit, rouge, arc-en-ciel, nostalgie, aube — des instants vécus au « nous », avec sa fille.
Portée par un besoin incessant de bouger, tentant de se convaincre qu’« être le mouvement c’était aussi ce qu’[elle] savait faire de mieux », elle apprend à « être bien entre [s]es quatre murs », dans « [s]a cuisine trop petite ». Et malgré l’arrêt que lui impose sa fillette, la route, le voyage, le besoin de mouvement, comme une façon de trouver un équilibre, une stabilité, reste central dans ce microrécit fragmenté.
Présenté en quelque quarante tableaux, le récit devient voyage, l’écriture suscitant d’une certaine façon elle-même le mouvement. Accompagné de photographies, comme des instants figés, seules preuves de souvenirs qui tendent à se brouiller, le récit dévoile toute la fragilité d’une femme, une mère qui, faute de moins tourner en rond, « tourne sur un autre axe » en compagnie de sa fille et de quelques fantômes.
Entre les mailles
Dans Nouées, autofiction, récit thérapeutique tout juste paru chez Québec Amérique, l’autrice reste dans l’intimité d’une femme écorchée, fragile et submergée par un sentiment de culpabilité, celui d’être trop ou pas assez, de porter un poids, non pas sur ses épaules, mais tout au fond d’elle.
Depuis l’enfance, où, en écoutant Petit papa Noël, elle croit qu’il a froid à cause d’elle, jusqu’à cet épisode où sa petite de quatre ans « est convaincue qu’elle devrait mieux prendre soin [de sa mère] », la culpabilité habite Catherine. Sentiment qui la hante et qu’elle livre en trois temps avec douceur et transparence.
D’abord, ce commencement du monde, celui qui fera d’elle une mère. Puis, 1984, souvenir de son enfance à elle dans les Laurentides, de sa mère en cure de désintoxication. Et, enfin, 2001, point de bascule. Brillante universitaire, « en équilibre devant le fossé du nouveau siècle », elle « passe proche » de se suicider. Les trois récits se suivent, s’accrochent l’un à l’autre dans cette volonté de dénouer les complexes pour mieux saisir les mailles, les entrecroisements, ce qui façonne une fille, une femme, une mère, ce qui la construit, elle, dans toutes ses failles, ses faiblesses et sa lumière aussi.
Dans une écriture intimiste, Catherine Voyer-Léger fouille ainsi les méandres de cette filiation à travers laquelle s’installe et grandit de façon bien involontaire ce monstre de culpabilité qui bousille son équilibre, sa confiance. « De mère en fille, nos angoisses tressées ensemble pour le meilleur et pour le pire », livre-t-elle avec autant d’appréhension que d’espoir. Un constat non pas d’échec, mais plutôt une étonnante lucidité sur nos propres incohérences et imperfections.
Ponctué de références à la culture et au quotidien de cette femme quadragénaire, à ces « petits bonshommes » écoutés le samedi matin, aux Filles de Caleb enregistrés les jeudis sur VHS, dont chaque épisode est « binge watch[é] en attente du nouveau », le récit de Voyer-Léger se lit comme on écoute un épisode télé. Sans effort, mais d’un trait, happé par la vulnérabilité de cette voix féminine qui s’éloigne de la victimisation pour se tourner simplement vers l’autre, avancer malgré tout dans ce commencement du monde.