10 lectures pour rythmer le Mois de l’histoire des Noirs

La libraire Gabriella Kinté Garbeau propose un voyage tout en finesse, aussi politique que poétique.
Photo: Getty Images La libraire Gabriella Kinté Garbeau propose un voyage tout en finesse, aussi politique que poétique.

En ouvrant la librairie Racines, spécialisée en littérature de la diversité, Gabriella Kinté Garbeau a pris sa place. D’abord à Montréal-Nord, puis sur la rue Saint-Hubert, où la librairie a déménagé il y a quelque temps. « Je suis juste quelqu’un qui avait envie d’ouvrir une librairie. Et cette librairie reflète mes champs d’intérêt », dit-elle. C’est l’une des raisons pour lesquelles le livre Ne reste pas à ta place !, de la journaliste, autrice et militante française Rokhaya Diallo, fait partie des dix recommandations de lecture que la libraire nous a faites, dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs.

« Je ne suis pas à la place où ma naissance aurait dû me conduire, écrit Rokhaya Diallo, femme noire provenant d’un milieu ouvrier. Pourtant, je me sens plus à ma place que jamais. »

Et pour Gabriella Kinté Garbeau, prendre sa place, c’est aussi afficher avec fierté le livre de Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes. Avec ce titre, Mohamed Mbougar Sarr est devenu, en 2021, le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à recevoir le prix Goncourt.

« Ça a été une fierté d’apprendre qu’un auteur de la communauté noire était lauréat du Goncourt. Et dans le contexte du Mois de l’histoire des Noirs, c’est une fierté de dire que cet homme-là a été récompensé pour ses talents de conteur », dit la libraire.

Une terrible histoire

 

Les adolescents ne sont pas en reste dans la sélection que Gabriella Kinté Garbeau nous propose. Mes coups seront mes mots, d’Ibi Zoboi et de Yusef Salaam, raconte l’histoire terrible d’Amal, l’un des ados enfermés à tort lors de l’affaire des « cinq de Central Park », à la suite du viol d’une joggeuse, à la fin des années 1980. En fait, c’est de l’histoire de Yusef Salaam lui-même que le livre s’inspire.

Comme quatre autres adolescents, Yusef Salaam a été condamné à tort et a servi sept ans de prison, jusqu’à ce qu’un violeur en série confesse le crime, corroboré par des tests d’ADN, et qu’un tribunal redonne leur liberté aux cinq jeunes. Refusant d’être amer, Yusef Salaam a dit, dans une entrevue diffusée à la CBC, avoir puisé du courage dans la poésie et les mots de Maya Angelou. « Utilisez votre colère, disait-elle, dansez-la, marchez-la, votez-la. Et après dites-la. N’arrêtez jamais de la dire [TDLR]. » Son livre fait partie de ce magnifique projet.

Les plus jeunes se reconnaîtront peut-être dans Comme un million de papillons noirs, de Laura Nsafou, qui aborde la question de la chevelure bouclée serrée trop souvent sujette à des moqueries.

« Deux des choses qui nous distinguent, dans l’identité noire, ce sont nos cheveux, la texture de nos cheveux, et la couleur de notre peau. [..] Tout le monde est touché par les standards de beauté, surtout les jeunes filles, raconte Gabriella Kinté Garbeau. Les jeunes filles blanches sont plus proches du standard de beauté idéale. C’est plus difficile à atteindre pour nous. Souvent, les cheveux longs font partie du standard de beauté. Mais les enfants ne se défrisent pas les cheveux. Et lorsqu’on se moque d’eux, ils sont victimes de la texture de leurs cheveux. »

Prendre sa place, c’était aussi sûrement le combat de Toussaint Louverture, cet Haïtien né esclave devenu tête dirigeant du mouvement de la révolution haïtienne, dont Gabriella Kinté Garbeau suggère la biographie : La vie légendaire de Toussaint Louverture de Sudhir Hazareesingh. « Je voulais quelque chose comme une figure majeure qui parle de l’émancipation des Noirs. Je voulais quelque chose qui parle de cette République. Les Français occupaient l’île et les Haïtiens les ont sacrés dehors. »

En Amérique…

Plus près de nous dans le temps, la libraire propose aussi la bande dessinée Miss Davis. La vie et les combats de Angela Davis, signée par Amazing Ameziane et Sybille Titeux de la Croix. « Je l’ai choisie entre autres parce que Davis est encore vivante. Quand on lit des livres sur les gens qui ont fait partie du mouvement pour les droits civiques, et qui ont été confrontés à des gens du Ku Klux Klan, on se rend compte que cela ne fait pas si longtemps que ça. Le fait qu’Angela Davis soit encore vivante et active, ça illustre ça. »

Chez les auteurs québécois, Gabriella Kinté Garbeau a choisi l’essai Les racistes n’ont jamais vu la mer, de Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban. « Le racisme est un sujet délicat, dit-elle, il faut oser l’aborder. »

« Le problème avec le racisme en ce moment, poursuit-elle, c’est que les gens ne reconnaissent pas que c’est systémique, et que l’une des stratégies, pour l’aborder, c’est de toujours dire que le problème, c’est l’autre, de ne pas se reconnaître soi-même dans le miroir. De penser par exemple que le racisme est le fait de quelques pommes pourries, que ce sont des cas isolés. […] Quand les auteurs racisés parlent de leur expérience et de leur vécu comme ils le font, une personne ayant le moindrement un sens critique va dire “c’est du racisme”, il n’y a pas d’autre mot pour le décrire. »

Au rayon de la poésie, Gabriella Kinté Garbeau a choisi Sainte Chloé de l’amour par Chloé Savoie-Bernard, pour mettre une touche de Montréal dans sa sélection, et parce que son livre se lit très bien pour les gens pressés. Elle propose aussi La colline que nous gravissons, d’Amanda Gorman, qu’elle a découverte, comme toute l’Amérique, lors de la lecture de son poème le jour de l’assermentation de Joe Biden. « Ce qu’elle fait est porteur d’espoir, dit-elle. Elle parle d’un peuple diversifié, et utilise des mots-clés, comme se réconcilier et se lever. »

Sa sélection se clôt sur Wake up America, une bande dessinée dans laquelle John Lewis raconte son propre combat pour l’émancipation des Noirs dans la société américaine, avec la complicité d’Andrew Aydin et de Nate Powell.

« C’est un livre accessible qui parle de la lutte pour les droits civiques. Et cela donne une façon de voir qu’il y a une chronologie dans les événements, que le mouvement Black Lives Matter est une continuité de ses luttes. Ça n’est pas québécois, c’est quelque chose d’américain. Très souvent, on dit que ça n’est pas la même chose, mais il y a quand même des parallèles à faire », dit-elle.

 

Mes coups seront mes mots

Ibi Zoboi et Yusef Salaam, Gallimard jeunesse

Miss Davis

​Amazing Ameziane et Sybille Titeux de la Croix, Éditions du Rocher

La plus secrète mémoire des hommes

Mohamed Mbougar Sarr, Éditions Philippe Rey, Jimsaan

La vie légendaire de Toussaint Louverture

​Sudhir Hazareesingh, Flammarion

Les racistes n’ont jamais vu la mer

​Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, Mémoire d’encrier

Wake up America

​John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell, Rue de Sèvres

Ne reste pas à ta place !

​Rokhaya Diallo, Marabout éditeur

La colline que nous gravissons

​Amanda Gorman, Fayard éditeur

Comme un million de papillons noirs

Laura Nsafou, Cambourakis

Sainte Chloé de l’amour

​Chloé Savoie-Bernard, L’Hexagone

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