«J’irai déterrer mon père»: de vie et de mort, de larmes et de sourires

« Je me sens aussi blanche qu’un paysage d’hiver. Ils n’ont pas réussi à passer entièrement le coloscope. Quelque chose bloquait son entrée au niveau de l’intestin. Ce n’est pas bon signe […]. Tic-tac. »
Tic-tac. Catherine Larochelle, que l’on connaît comme comédienne pour l’avoir vue dans Antigone de Sophie Deraspe et dans les séries District 31 et Léo, dépose cette première d’une série d’onomatopées à la fin du paragraphe qui ouvre son premier roman, J’irai déterrer mon père.
Tic-tac. Le compte à rebours s’amorce pour Charlie, 29 ans presque 30, chargée de projet en anthropologie (déterrer, elle sait) ; depuis 10 ans, blonde d’Antoine qu’elle soupçonne aujourd’hui « de garder dans ses poumons le parfum d’une autre femme » ; sœur de Karl, chirurgien esthétique qui n’a jamais supporté qu’un autre que lui puisse faire du mal à sa sœur — le cancer n’a qu’à bien se tenir ; fille de… sa mère, actrice qui a le sens du drame, « même à la pharmacie, on dirait parfois qu’elle auditionne pour un rôle dans une tragédie ».
En passant, Charlie aime faire, ainsi, de longues énumérations. Catherine Larochelle également, on l’imagine, puisque de telles envolées virevoltent joliment sous sa plume.
Le papa de Charlie, celui du titre, dans tout ça ? Il s’est suicidé quand elle avait 15 ans. Sa mort prochaine à elle la ramène vers le drame qui a marqué… ce qui s’avérera le mi-temps de sa vie. Elle découvre alors que son père ne voulait pas être mis en terre. Il l’avait fait savoir. Mais sa dernière volonté n’a pas été respectée. Sur la liste des choses à faire avant de clore son séjour sur Terre, Charlie ajoute donc celles de retrouver son père (elle ignore où il a été enterré) et de le déterrer. « Pour le confier au vent. »
« J’irai déterrer mon père pour le confier au vent » : ç’aurait pu être le titre du roman. Un titre en deux tons, comme le texte. La noirceur de la mort, dite ici avec un humour grinçant et là avec une légèreté enivrante. La lumière de la vie, racontée ici avec une poignante poésie et là sur un rythme amusé qui bondit d’un paragraphe à l’autre.
Charlie part ainsi dans une ultime quête, en compagnie de ses proches. Et… disons, du fantôme de son père. Voyage au sens premier du terme, mais aussi voyage intérieur, dans lequel défile la vie de la jeune femme en route pour la mort. Paysages au sens premier du terme, mais aussi paysages intérieurs, traduits par une série de photos — pas montrées, mais décrites — qui ouvrent chacun des chapitres. Photo à 1 an avant le chapitre 1. Photo à 2 ans avant le chapitre 2. Et ainsi de suite jusqu’à la dernière photo et au (presque) dernier chapitre. Photo à 30 ans avant le chapitre 30.
L’idée semble charmante et elle l’est, mais elle est plus que cela. Elle confère au texte une structure subtile qui assoit bellement le récit dans la nostalgie et dans l’amour, tout en lui ajoutant une touche malicieuse. On referme le livre avec le sourire aux lèvres, de l’eau au fond des yeux. Et une boule dans le ventre.
«J’irai déterrer mon père pour le confier au vent»: ç’aurait pu être le titre
du roman. Un titre en deux tons, comme le texte. La noirceur de la mort, dite ici avec un humour grinçant et là avec une légèreté enivrante.