«Ni dieu ni patron ni mari»: déterminées et sur la brèche

La brève aventure de «La Voz de la Mujer», qui ne compte que neuf numéros, n’en est pas moins significative. En effet, y ont contribué des figures notoires des mouvements pour les droits des femmes. 
Photo: Wikipédia La brève aventure de «La Voz de la Mujer», qui ne compte que neuf numéros, n’en est pas moins significative. En effet, y ont contribué des figures notoires des mouvements pour les droits des femmes. 

Dernier ajout à la série des « Petits classiques de l’anarchisme » de l’éditeur français Nada, Ni Dieu ni patron ni mari présente la traduction française d’une sélection de textes tirés du journal argentin La Voz de la Mujer (1896-1897), considéré comme la première publication libertaire écrite par et pour les travailleuses.

Ces écrits se doublent d’une riche iconographie composée de photographies d’époque et d’illustrations prises dans diverses publications associées aux milieux militants particulièrement actifs à Buenos Aires au début du XXe siècle. Parmi ces images se signalent les remarquables eaux-fortes d’Abraham Regino Vigo documentant les luttes ouvrières. Cette approche éditoriale contribue à donner à l’histoire et au sujet choisi un caractère sensible.

La brève aventure de La Voz de la Mujer, qui ne compte que neuf numéros, n’en est pas moins significative. En effet, y ont contribué des figures notoires des mouvements pour les droits des femmes comme Virginia Bolten, d’origine allemande, en plus d’en faire connaître d’autres, comme Pepita Gherra. On attribue d’ailleurs à cette dernière la rédaction entière de certains numéros. Les articles choisis et traduits par l’universitaire Hélène Finet, qui signe également la préface, se distinguent par leur diversité : éditoriaux collectifs, échanges polémiques, contributions étrangères et poèmes. De même, une grande variété de tons les caractérise, de l’humour au sanguinaire.

Traversant l’ouvrage, les fréquents appels à la violence contre l’autorité des institutions témoignent de la dureté des conditions de vie alors imposées aux ouvrières. Déjà, l’exploitation sexuelle est crûment dénoncée par les contributrices du journal, qui s’indignent des agressions subies au quotidien par les femmes de tous âges, tant dans les usines et les ateliers que dans la sphère domestique.

« À peine pubères, nous sommes la cible des regards lubriques et luxurieux du sexe “fort”, qu’il appartienne à la classe qui exploite ou à celle qui est exploitée », note Carmen Lavera dans un texte intitulé « Pourquoi sommes-nous partisanes de l’amour libre ? ». Dans ce contexte, à la confluence de l’asservissement économique et social, comme le souligne Hélène Finet dans la préface, la prostitution apparaît comme le dernier recours des femmes paupérisées que tenaille la faim.

Toujours d’actualité près de 125 ans après leur parution, la série d’éditoriaux sélectionnés pour la plaquette témoigne des réactions virulentes du milieu anarchiste à la parution de La Voz de la Mujer. Alors que le mouvement était engagé dans la lutte pour la fin de toutes les oppressions, la conception d’une liberté à deux vitesses trahie par les critiques du périodique est vivement dénoncée dans des termes qui pourraient être ceux d’aujourd’hui : « Il faut, oh ! faux anarchistes que vous êtes, que vous compreniez que notre mission ne se réduit pas à élever vos enfants et à laver votre crasse et que nous aussi avons le droit de nous émanciper et d’être libres de toute forme de tutelle, qu’elle soit sociale, économique ou maritale. »

Ni Dieu ni patron ni mari

★★★

La Voz de la Mujer, Montreuil, Nada, 2021, 96 pages

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