Faire provision pour l’hiver

Du nobélisé Abdulrazak Gurnah à Louise Erdrich et son Pulitzer, les écrivains qui donnent le «la» de la saison. 
Photo: ​Istock Du nobélisé Abdulrazak Gurnah à Louise Erdrich et son Pulitzer, les écrivains qui donnent le «la» de la saison. 

En choisissant le romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah, le jury du prix Nobel 2021 consacrait « une œuvre sans compromis et pleine de compassion », attentive aux effets du colonialisme. On réédite par bonheur deux romans de ce formidable conteur, arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960 et premier auteur noir africain à avoir remporté le prix depuis Wole Soyinka en 1986. Paradis, qui raconte l’histoire d’un garçon qui grandit en Tanzanie au début du XXe siècle, et Près de la mer (tous les deux chez Denoël, janvier), où il est question, entre Londres et Zanzibar, du destin mouvementé de deux hommes, de trahison et de vengeance.

Considéré comme l’un des meilleurs jeunes écrivains hispaniques par la revue Granta, Carlos Fonseca, né au Costa Rica en 1987, se fera connaître des lecteurs francophones avec son deuxième roman, Musée animal (Christian Bourgois, mars), qui explore la relation complexe entre le conservateur d’un musée d’histoire naturelle du New Jersey et une célèbre créatrice de mode new-yorkaise. Un puzzle qui serpente de Haïfa, en Israël, à la bohème new-yorkaise des années 1970, en passant par la jungle latino-américaine.

Il faudra s’accrocher avec l’Équatorienne Mónica Ojeda, dont le troisième roman, Mâchoires (Gallimard, février), qui mêle pop culture et poésie, a fait partie des livres préférés d’El País en 2018. On y suit la vie d’un groupe d’adolescentes dans une école catholique de l’Opus Dei, réservée aux élites de Guayaquil. Un thriller psychologique sur la jeunesse, le sexe et la peur dans lequel Mónica Ojeda, nous dit-on, « recrée un monde féminin sans limites et sans merci, où le danger et le désir règnent comme une fascinante déesse à deux têtes ».

Le romancier Jón Kalman Stefánsson, dont l’œuvre balance entre l’infiniment petit et l’immensité de l’horizon islandais, nous revient avec Ton absence n’est que ténèbres (Grasset, février). Une histoire foisonnante dans laquelle un homme amnésique se retrouve dans un village des fjords sans savoir pourquoi ni comment il y est arrivé, même si tout le monde semble le connaître. Restons en Islande, alors que La Peuplade poursuit la publication de l’œuvre de Gyrðir Elíasson avec Requiem (février). Un court roman « subtil et mélancolique » où l’auteur d’Au bord de la Sandá (2018) donne vie à un compositeur attentif aux mélodies qui l’entourent.

Louise Erdrich, voix littéraire majeure des Autochtones depuis Dans le silence du vent (2013), revient avec Celui qui veille (Albin Michel, février), un sixième roman pour lequel elle a obtenu l’année dernière le prix Pulitzer. Dans le Dakota du Nord dans les années 1950, un veilleur de nuit dans une usine près de la réserve de Turtle Mountain est déterminé à lutter contre le projet du gouvernement fédéral qui doit « émanciper » les Indiens, car il sait bien que ce texte est en réalité une menace pour les siens. La romancière américaine, née en 1954 d’un père d’origine allemande et d’une mère chippewa, s’est inspirée de la figure de son grand-père maternel, qui a lutté pour préserver les droits de son peuple.

L’Américain Joshua Cohen met ses pas dans ceux de Philip Roth et de Saul Bellow, signant avec Les Nétanyahou (Grasset, mars) un roman sur la société américaine, les familles dysfonctionnelles et l’identité juive. « Le plus grand auteur américain vivant », s’il faut en croire le Washington Post, y livre une satire du monde universitaire à partir d’un épisode invraisemblable de l’histoire personnelle des Nétanyahou, la famille de l’ancien premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou.

Considéré comme l’un des plus grands écrivains sinophones contemporains, l’écrivain Zhang Guixing nous plonge dans une atmosphère de réalisme magique prenant pour toile de fond, en 1941, l’invasion japonaise au Sarawak, une province malaise du nord de l’île de Bornéo, avec ses jungles, ses animaux, ses habitants et leurs coutumes. La traversée des sangliers (Picquier, février) raconte cet épisode historique à travers une galerie de personnages hauts en couleur : les villageois, chasseurs et fumeurs d’opium résistant à l’envahisseur.

L’écrivain Ismaïl Kadaré, qui partage sa vie entre l’Albanie et la France, souvent pressenti pour le Nobel de littérature, revient avec Disputes au sommet (Fayard, mars). Celui que l’on surnomme le « Victor Hugo albanais » s’intéresse à un épisode mythique de l’époque stalinienne : l’intrigant appel téléphonique de Staline à Boris Pasternak en juin 1934, objet de toutes les conjectures. À travers son enquête, l’auteur du Palais des rêves (1981) nous propose une nouvelle exploration de la relation qu’entretient tout écrivain avec la tyrannie.

Témoin de la Shoah

Elle est sans doute l’un des derniers grands témoins de la Shoah. De son enfance dans un petit village de Hongrie en passant par sa déportation, Edith Bruck, 90 ans, écrivaine italienne et réalisatrice d’origine hongroise, raconte dans Le pain perdu (Sous-Sol, mars) sa survie miraculeuse dans plusieurs camps de concentration et son difficile retour à la vie en Hongrie, en Tchécoslovaquie, puis en Israël. Un livre court et percutant qui est dans la veine des grands récits autobiographiques de la Shoah et de la déportation, comme ceux de Primo Levi (dont elle était l’amie), Imre Kertész, Charlotte Delbo ou Jorge Semprun. En février 2021, bouleversé par sa lecture du Pain perdu, le pape François a fait une rare sortie du Vatican pour rendre visite à l’écrivaine à son domicile de Rome, décuplant les ventes du livre en Italie.



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