Pierre Céré, chronique d’une métamorphose annoncée

Pierre Céré
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Pierre Céré

Le filet social 2.0 hérité des derniers mois serait-il en voie de devenir pérenne ? Dans La crise et le filet social. Pourquoi la droite n’aime pas la PCU, le militant de longue date Pierre Céré retrace les circonstances qui ont vu la transformation à la vitesse grand V de programmes sociaux jugés jusque-là trop complexes pour être durablement réformés — ici, le régime d’assurance-emploi. Quant à la crise elle-même, « il faut remonter à la Grande Dépression des années 1930 ou à la pandémie de grippe espagnole qui a balayé la planète après le premier conflit mondial pour trouver un équivalent », souligne-t-il.

Alors que la déferlante Omicron force la réduction des activités de secteurs complets de l’économie si ce n’est leur fermeture, privant de revenus bon nombre de travailleurs et de travailleuses, d’aucuns ne doutaient pas de l’annonce de nouvelles aides gouvernementales. Avec comme précédent les mesures généreuses adoptées dans les premiers temps de la crise de la COVID-19, il aurait été surprenant de voir les gouvernements laisser autant de gens sur la touche.

Aux premières loges de la conflagration du mois de mars 2020, Pierre Céré et ses collègues du Comité Chômage de Montréal ont vu l’assurance-emploi se désintégrer sous leurs yeux dans les premiers jours de la crise : « De milliers de pertes d’emplois, nous sommes rapidement passés à des centaines de milliers puis à des millions. Sous la pression, le système s’est effondré, sur les plans technique et humain. »

En quelques jours seulement, le gouvernement fédéral met sur pied la désormais célèbre prestation canadienne d’urgence (PCU), dont bénéficieront 8,9 millions de Canadiens, soit environ 45 % de la population active, rapiéçant en un tournemain des décennies de travail de sape néolibéral. S’ajouteront à cette aide directe aux citoyens et aux citoyennes de nombreuses mesures à l’intention des entreprises, telle la subvention salariale d’urgence.

Un manque de solidarité

 

S’il est évident, des dires mêmes des gouverneurs successifs de la Banque du Canada Stephen Poloz et Tiff Macklem, que ces aides ont contribué à garder l’économie à flot, en plus de soulager la détresse de millions de personnes placées devant un avenir incertain, la PCU s’est retrouvée sous les tirs groupés de la droite économique et politique quelques semaines seulement après avoir été instaurée.

Menée tambour battant par le premier ministre du Québec, François Legault, cette charge a été abondamment relayée par les médias, jusqu’à constituer le discours dominant. La revue de presse élaborée par Pierre Céré témoigne de la virulence de ces attaques. « Encore à ce jour, il m’arrive d’entendre parler de la “maudite PCU”, plus d’un an après la fin de la mesure », ajoute le militant.

Il était reproché à la prestation d’être à l’origine de la pénurie de main-d’œuvre que connaît actuellement la province. Cependant, la seule PCU ne peut être tenue responsable d’un phénomène par ailleurs mondial, qui a aussi à voir, au Québec, avec l’influence croisée du vieillissement de la population, d’une forte croissance de l’économie et des avancées de la robotisation du travail.

Quant au mythe du prestataire paresseux, il ne résiste pas à l’épreuve des faits. À titre d’exemple, les bénéficiaires de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), qui a succédé à la PCU, se sont prévalus en moyenne de la moitié des périodes pour lesquelles ils étaient admissibles, soit 24 semaines sur 48. Pour citer la ministre fédérale de l’Emploi, Carla Qualtrough, « les gens préfèrent le travail [aux prestations] ».

Dans la même veine, il n’est pas inutile de rappeler que le montant hebdomadaire des aides gouvernementales était calqué sur le salaire minimum, laissant peu de marge à ceux qui les recevaient pour s’enrichir indûment. Que la PCU et la PCRE aient exercé une pression sur le recrutement de journaliers et de manutentionnaires en dit long sur les conditions offertes pour ces emplois.

En marge, notons que les seuils minimaux de revenus définis par les aides d’urgence fédérales demeurent largement supérieurs aux montants de l’aide sociale. Alors que le filet social subit d’importantes transformations, ceux-ci restent inchangés. Pourtant, « personne ne peut vivre avec un chèque de 650 dollars par mois », rappelle Pierre Céré.

Des voies ensoleillées ?

Alors que la PCU et la PCRE appartiennent désormais au passé, que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit de solidarité qui les sous-tendait ? « La refonte permanente du régime de l’assurance- emploi, attendue au printemps 2021, a été reportée. Toutefois, bon nombre des assouplissements faits pendant la crise ont été maintenus, mais de manière temporaire. »

Clairement énoncée dans la lettre de mandat de la ministre de l’Emploi se trouve tout de même l’intention d’étendre la couverture du régime au travail autonome et à la demande (Uber, DoorDash et compagnie), prenant acte des transformations récentes du monde du travail. « La proportion de travailleurs que l’on pourrait dire “attachés à leur machine”, comme l’était mon père, tend à diminuer. Le travail autonome, qui ne bénéficie d’aucune protection, est maintenant pratiqué par près de 15 pour cent de la population active », précise l’auteur.

En tendant vers l’universalité, l’élargissement des critères d’admissibilité à l’assurance-emploi ouvre-t-il la voie à l’adoption d’un éventuel revenu minimum garanti ? « Pas nécessairement, risque Pierre Céré. C’est un débat dense. Plusieurs mesures, qu’il est possible d’améliorer, offrent des solutions de remplacement de revenus, en fonction du type de “sinistre” : maladie, chômage, etc. L’instauration d’un revenu minimum garanti comporte pour sa part son lot de pièges, notamment celui de servir de prétexte, suivant la logique libertarienne, pour sabrer les programmes sociaux. Dans ce cas précis, on assisterait à un nivellement vers le bas. Cela dit, c’est l’idée de la dignité de tous et toutes qui doit guider nos réflexions et nos actions. »

La crise et le filet social. Pourquoi la droite n’aime pas la PCU

Pierre Céré, Somme toute, Montréal, 2021, 104 pages.



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