2021 en 15 grands livres d’ici

Tout est ori de Paul Serge Forest (VLB)

Paul Serge Forest peut se targuer d’avoir imaginé l’expérience de lecture la plus audacieuse de l’année avec ce premier roman, lauréat du prix Robert-Cliche. Tout est ori raconte les tribulations d’un scienti-fique en voie de créer une nouvelle couleur, produit de la conscience humaine donnée en pâture à des mollusques. L’écrivain trace son chemin à travers cette proposition éclatée mettant poésie, métaphysique, humour et sensualité au service d’un monde dont les effluves persistent bien après sa conclusion.
La fille d’elle-même, de Gabrielle Boulianne-Tremblay (Marchand de feuilles)

C’est l’histoire d’une naissance. Celle d’une femme née dans le corps d’un garçon. La narratrice de ce roman d’autofiction à la fois sombre et éblouissant, que l’on découvre enfant, reçoit comme autant de camouflets les « il » que ses proches lui adressent. Pas pour mal faire, mais parce qu’ils ne savent pas. Pas encore. Écrit dans une langue où résonne la poète qu’est aussi Gabrielle Boulianne-Tremblay, La fille d’elle-même mène brillamment du coup de poing de l’ouverture à la lumière de la conclusion.
Femme forêt, Anaïs Barbeau-Lavalette (Marchand de feuilles)

Roman autobiographique d’une ensorcelante poésie où l’imaginaire tient une large part, Femme forêtfait figure de miroir inversé de La femme qui fuit (Marchand de feuilles, 2015), magnifique portrait de sa grand-mère maternelle. Tandis qu’elle y relate son confinement avec sa famille et des amis dans la vallée de son enfance à l’orée d’une forêt, la romancière en quête d’enracinement se livre à une prodigieuse réflexion sur la mémoire ancestrale, la transmission des valeurs et les liens familiaux.
L’horizon des événements de Biz (Leméac)

Avec cette tragicomédie mordante aux accents houellebecquiens campée dans le monde universitaire, Biz fait coup double : il parodie notre époque tout en livrant un hommage bien senti à l’écrivain Louis-Ferdinand Céline (Voyage au bout de la nuit). Appel à la liberté de l’écrivain et miroir tendu à une certaine génération woke, le huitième titre de ce rappeur devenu écrivain est, par sa forme, l’un de ses plus maîtrisés. Un roman provocateur, mais traversé de passion et de rédemption, d’amour pour la vie et pour les mots.
Highlands de Fanie Demeule (QA, La Shop)

Fanie Demeule entretient une relation particulière avec les paysages désolés et dramatiques de l’Écosse. Son amour pour cette île de tourments, de brumes… et (peut-être) de monstres, sonne fort, profondément, dangereusement dans ce roman choral où trois étrangères posent le pied — et l’âme — dans les Highlands. Leurs routes vont se croiser, se couper. Jusqu’à saigner. On le sait, on le sent. C’est porté par l’atmosphère gothique aussi enveloppante qu’inquiétante que l’autrice a créée. Avec amour.
Valide de Chris Bergeron (XYZ)

Avec cette autofiction aux contours de thriller dystopique, Chris Bergeron entre de plain-pied dans un futur proche né de notre présent mortifère le plus haïssable. Par le truchement de son double littéraire, Christian/Christelle, elle règle ses comptes avec le système en prenant en otage David, un algorithme à qui elle racontera sa vie. Ce faisant, l’autrice fait éclater toutes les cases (de style, mais aussi de genre et d’identité), cela sans faux-fuyants et avec une intelligence émotionnelle imparable.
Mille secrets mille dangers d’Alain Farah (Le Quartanier)

Chaque journée n’est-elle pas le reflet d’une vie entière ? Dans ce roman captivant et foisonnant, Alain Farah utilise comme prétexte les 24 heures entourant son mariage pour faire coexister les souvenirs de son enfance dans le Petit Liban, sa précieuse érudition, son incomparable sens de l’humour, ses hantises et ses réflexions sur la maladie, l’immigration, le deuil et l’identité. Un exercice d’introspection qui évoque la richesse et l’authenticité du voyage. Un délice littéraire comme il s’en fait peu.
Une forme claire dans le désordre de Éléonore Létourneau (VLB)

« Quelque chose en eux demeurait inchangé, malgré les années écoulées, les vies dispersées. » Dans ce roman délicat, nuancé et introspectif d’Éléonore Létourneau, quatre artistes se réunissent à Rome afin de célébrer le 20e anniversaire de leur résidence à la villa Médicis. Traitant avec brio de l’implacable passage du temps et des amitiés indéfectibles malgré la distance, l’autrice esquisse finement un portrait impressionniste des années 2000, théâtre de désillusions et de révolutions.
Rien dans le ciel de Michael Delisle (Boréal)

Michael Delisle fait partie des rares auteurs qui maîtrisent l’art subtil de la nouvelle. Dans ce recueil de huit récits joyeusement crépusculaires, où sont abordés frontalement les thèmes de la vieillesse, de la maladie, de la dépression, du deuil et de la mort, l’auteur fait montre d’un humour noir, doublé d’un regard d’une redoutable acuité sur notre propre finalité que l’on retrouve dans des descriptions lapidaires ou des répliques douloureusement lucides. Une étonnante célébration de la vie.
Les ombres filantes de Christian Guay-Poliquin (La Peuplade)

Après Le fil des kilomètres et Le poids de la neige, Christian Guay-Poliquin reprend son habile exploration du territoire avec Les ombres filantes. Cette dystopie, qui résonne cruellement avec le présent, remet en question notre rapport aux autres et à la planète avec finesse. Elle aborde également avec grande intelligence les conflits générationnels. Les personnages sont dessinés au petit point, la mécanique narrative, bardée d’images fulgurantes et de silences éloquents, est proprement admirable.
Après Céleste de Maude Nepveu-Villeneuve (De ta mère)

Après Céleste est un roman sur le deuil : celui, d’abord, d’un enfant, mais aussi celui des amitiés soudées dès l’enfance, celui du corps, des rêves inachevés, du destin que l’on croyait tracé d’avance. Maude Nepveu-Villeneuve, avec sa plume qui n’a de simple que l’apparence, évite les pièges de la mièvrerie et de l’apitoiement, et donne vie, sur les pages, à ces vérités du cœur qu’on croyait à tort intangibles. Un roman d’une grande justesse, qui se lit comme on serre un ami dans ses bras.
La désidérata de Marie Hélène Poitras (Alto)

Après neuf ans d’éclipse littéraire, Marie Hélène Poitras met sur la table un conte cruel destiné à ses admirateurs affamés d’elle. Une contrée imaginaire qui ressemble à la France quand elle descend dans son Sud, un domaine au nom prémonitoire de Malmaison, une lignée de mâles. Des femmes qui ont disparu. Une autre qui arrive. Une autre encore, qui s’extirpe d’un corps d’homme. Une fable où les ombres sont prégnantes, la nourriture omniprésente et la sensualité conjuguée à tous les sens. L’envoûtement est total.
Sur la route des grandes sagesses de Jean Bédard (Leméac)

Ce onzième roman de Jean Bédard, depuis Maître Eckhart (Stock, 1998), nous promène, entre le récit d’aventures et la fable, sur les anciennes routes de la Soie, entre Jérusalem et les montagnes du Cachemire au Ier siècle de notre ère. Dans une prose simple et limpide, c’est un traité de sagesse œcuménique sans lourdeur, chargé de compassion, d’espoir et d’harmonie universelle. Un roman lumineux, philosophique et voyageur dans lequel l’écrivain interroge avec intelligence et délicatesse la notion de liberté.
Haute démolition de Jean-Philippe Baril Guérard (Les éditions de ta mère)

Avec Haute démolition, Jean-Philippe Baril Guérard offre une critique décapante d’un monde, celui de l’humour, qui vise la jugulaire. La narration au « tu » désarçonne un peu au départ, mais on entre vite dans le vif pour se laisser rapidement — et complètement — happer. On sent la force du terrain que l’auteur a tâté en amont. C’est cruel, triste à pleurer, mais impeccablement documenté. Quant à la mécanique, elle est, comme toujours chez l’auteur de Royal et de Manuel de la vie sauvage, imparable.
Tableau final de l’amour de Larry Tremblay (La Peuplade)

En s’inspirant librement de la vie du peintre britannique Francis Bacon (1909-1992), Larry Tremblay conjugue avec doigté art, violence, éro-tisme et cruauté. Devenu narrateur de sa propre vie, s’adressant à un petit bandit devenu amant puis modèle, le peintre y exprime lui-même sans compromis ses désirs, amoureux, sexuels et artistiques. L’auteur de L’orangeraie plonge une fois de plus sous la surface, explorant notre humanité complexe, sans jamais détourner le regard de nos faiblesses et de nos laideurs.