Incursion dans l’atelier de Marc Séguin

Il y a quelque chose de mythique à l’idée d’entrer dans l’atelier d’un artiste. C’est là, après tout, que le génie prend vie, que l’expérience du monde se transforme en idées, puis en objets. On espère peut-être, secrètement, y entrevoir — et y attraper — une étincelle, une inspiration, une pensée qui ferait naître chez soi l’âme du créateur. À tout le moins aspire-t-on à y dénicher les secrets, les hantises, la flamme qui forgent son occupant.
Avec L’atelier, le peintre Marc Séguin invite le public à entrer dans l’envers du décor, à se plonger, l’espace de quelques pages, dans le joyeux chaos qui attise sa créativité et reflète sa pensée, à visiter les coulisses de son univers visuel et littéraire, les lieux qui ont vu naître certaines de ses plus grandes œuvres et, par le fait même, son identité d’artiste.
Pendant près de deux ans, Caroline Perron et Maude Chauvin ont suivi Marc Séguin d’un atelier à l’autre, de New York à Montréal, en passant par L’Isle-aux-Grues, pour photographier les espaces qu’il a occupés et qui l’ont habité en retour.
Chaque image, prise individuellement — ici un ventilateur à l’abandon, là un chiffon passé sur une surface constellée —, n’a rien de romantique. Toutefois, mises ensemble, accompagnées par le journal de bord à saveur éditoriale du peintre, elles racontent une histoire. Au fil des pages, les fonderies, les usines désaffectées et le désordre un peu sauvage qui y règne se subliment pour laisser place à l’art.
Sous le regard des photographes, les rayons de soleil qui pénètrent par les fenêtres poussiéreuses, les taches de peinture qui jonchent le sol, les esquisses encore auréolées de mystère et la mélancolie d’une œuvre inachevée prennent vie et reflètent l’urgence, le besoin vital qui anime la main de l’artiste. Au cœur de l’atelier, comme l’écrit le peintre, « y faire est plus important qu’y vivre ».
L’art naît du chaos
« L’atelier est certainement l’endroit qui ressemble le plus à mon cerveau, résume l’artiste, joint au téléphone par Le Devoir. Il y a une partie qui n’est pas esthétique, qui est désorganisée et qui doit être mise en mots ou en images pour être intelligible. Ma vie n’a jamais autant de sens qu’à cette seconde où je décide de fouiller le chaos pour en sortir des intentions, des affirmations. »
Pour que ses idées se cristallisent, se matérialisent en objets uniques, le lieu physique est essentiel. « Dans mon atelier, j’ai l’impression d’exister. Quand je passe le cadre de porte, c’est comme si je donnais naissance au possible. C’est l’endroit qui permet à mon corps de se mettre à la disposition de mes idées, qui leur donne le droit d’exister. »
L’atelier est certainement l’endroit qui ressemble le plus à mon cerveau. Il y a une partie qui n’est pas esthétique, qui est désorganisée et qui doit être mise en mots ou en images pour être intelligible.
En choisissant de montrer l’envers du décor, les banalités derrière la création, l’artiste parvient à illustrer la part de doutes qui existe dans la tête de tout artiste et à transformer la pagaille en un tout éminemment poétique, ouvert à l’interprétation, qui peut être feuilleté dans un ordre et à un rythme parfaitement aléatoires.
« Dans une œuvre d’art comme dans un poème, on ne voit pas toujours la même chose. Notre interprétation sera toujours teintée par le moment où on les contemple. Avec L’atelier, j’ai voulu recréer ce sentiment, donner envie aux gens de le revisiter souvent et d’y trouver chaque fois du nouveau. »
L’artiste en chacun
Le peintre ne fait jamais preuve de fausse modestie lorsqu’il aborde son métier ; une posture rafraîchissante qui transparaît dans toute l’œuvre. Il permet de vivre, de l’intérieur, la fierté et le sentiment d’adéquation que provoquent l’idée qui suit son chemin, l’intuition qui se confirme, l’œuvre qui est finalement mise au monde. Le tout, sans ne jamais oublier la chance inouïe qui accompagne ceux et celles qui vivent de leur plume et de leur pinceau.
« Oui, je fais de l’art, mais je fais aussi “juste” de l’art. Malgré toute la vanité et l’ego qui entourent ce métier, ce n’est pas moi qui ai inventé le geste créateur. Je ne peux qu’être humble devant les gens mille fois plus talentueux que moi qui existent déjà, qui viendront après moi ou qui attendent encore leur heure. »
Dans L’atelier, l’artiste invite par ailleurs les lecteurs à suivre leur élan créatif, à ajouter leur coup de crayon aux pages laissées vierges, ou même à superposer leur vision à des œuvres de l’auteur. « L’atelier est un endroit qui permet la prise de risque. Pourquoi ne pas jouer avec ce code, pourquoi ne pas écrire et dessiner dans un livre pour en faire un objet unique ? C’est un moyen de célébrer l’art avec un grand A, mais aussi le fait que tout le monde est un artiste, et que des choses toutes croches peuvent parfois donner naissance à de petits miracles. »