«L’Infini dans un roseau»: tablettes et papyrus

Selon Umberto Eco, il appartient à la même catégorie que la cuillère, le marteau ou la roue. On n’a rien trouvé de mieux depuis l’invention de ces objets. Le livre est si parfait qu’on pourrait même oublier qu’il n’a pas toujours existé.
Mais il n’a pas toujours existé et c’est l’aventure millénaire de la naissance du livre qu’entreprend de raconter Irene Vallejo avec L’infini dans un roseau. L’invention des livres dans l’Antiquité, un incontournable voyage pour bibliophiles de tout poil.
Premier arrêt à Alexandrie, au IIIe siècle avant notre ère, alors que tous les bateaux qui faisaient escale étaient soumis à une perquisition. Sur ordre de Ptolémée Ier, un ancien général d’Alexandre le Grand devenu roi d’Égypte, les douaniers saisissaient tout écrit trouvé à bord, le faisaient copier sur de nouveaux papyrus, rendaient les copies et conservaient les originaux.
De la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, dont aucune trace physique n’a été retrouvée à ce jour, on sait seulement que son catalogue occupait au moins cent vingt rouleaux, cinq fois plus que l’Iliade.
Malgré sa fragilité, le rouleau de papyrus, raconte Irene Vallejo, a pourtant représenté une « fantastique avancée ». Avec ce support bien plus léger que la pierre ou l’argile (pensons aux tablettes couvertes de l’écriture cunéiforme des Sumériens il y a 5000 ans), le bois ou le métal, le langage a pu s’implanter « dans la matière vive » : le roseau qui poussait sur les rives du Nil, en Égypte. « Le premier livre de l’Histoire est né quand les mots, à peine des bulles d’air, trouvèrent refuge dans la moelle d’une plante aquatique », écrit-elle.
Née à Saragosse en 1979, Irene Vallejo a été bercée toute son enfance par la mythologie gréco-latine, avant d’étudier la philologie classique et d’obtenir un doctorat des universités de Saragosse et de Florence. Également romancière, elle passe avec un remarquable talent de conteuse de Cicéron à Borges, des chantres bosniaques musulmans au début du XXe siècle au Farenheit 451 de Ray Bradbury, du codex au Kindle, et raconte une odyssée qui est toujours en cours.
Il ne reste rien des plus vieux livres d’Europe, seulement des échos et des allusions dans des textes qui nous sont parvenus. Le papyrus est un matériau périssable et fragile qui ne survit pas plus de deux cents ans environ dans les climats humides. Et si la naissance de la philosophie grecque a coïncidé avec la naissance des livres, nous dit l’autrice de L’infini dans un roseau, ce n’est sûrement pas un hasard.
Salué par Alberto Manguel et Mario Vargas Llosa, récompensé en 2020 par le Prix national de l’essai et par le Prix espagnol de l’Association des libraires, l’essai d’Irene Vallejo nous raconte cette fascinante épopée. Une épopée du savoir presque aussi prenante que l’Iliade — alors que des papyrus déterrés en Égypte ont confirmé que le livre d’Homère était, et de loin, le livre grec le plus lu dans l’Antiquité.
N’hésitant pas à recourir à des anecdotes personnelles, conjuguant épisodes connus ou méconnus de l’Histoire, la philologue espagnole a compressé toute son érudition entre les pages de ce livre qui se lit comme un roman.