De grands écrivains sous de belles couvertures

La maison d’édition Les Belles Lettres de Paris nous propose d’un coup cinq livres de très belle facture, sous couverture claire, carton pelucheux, rabats, avec illustrations gaufrées et argentées extraites de l’Herbarium d’Emily Dickinson.
Christina Rossetti
Volume bien étrange que celui-là qui ne contient, en fait, qu’un seul poème de Rossetti intitulé « Le marché aux elfes », qui s’allonge sur à peine 19 pages, racontant la descente vers la mort d’une jeune fille séduite par les « Gobelins » qui lui offrent des fruits néfastes, et qui sera sauvée par sa sœur. Le reste du volume est d’abord consacré à une très intéressante présentation par Virginia Woolf. Ce texte est suivi d’une incursion dans la vie du frère poète et peintre, Dante Gabriel Rossetti et de ses muses, pour s’achever sur des poèmes d’Elizabeth Eleanor Siddal, ci-devant amante.
Patrick Reumaux s’attarde à ce qu’il y a de plus anecdotique, de plus salonnard des mœurs de l’époque. Le grand avantage, c’est que cette approche donne à voir un état des lieux, des faits de société fort enrichissants. Mais ce qui reste de Christina Rossetti tient à peu de chose, peut-être à ce vers : « D’une voix de miel, le chat ronronna. »
Walt Whitman
Ce qu’il faut retenir de Whitman, c’est surtout cette pratique heureuse du verset, long vers litanique et prosaïque qui se déploie et donne son envolée à une poésie sans contrainte, dont le sujet n’a plus à être expressément la hauteur d’âme, mais parfois la satisfaction du corps viril, ou une révolte appelant à l’égalité sociale. Ces Feuilles d’herbe sont bellement accompagnées d’illustrations de Margaret C. Cook, montrant des hommes nus en bord de rivière, des femmes opulentes ou des mères attentives à leur bébé.
Cette œuvre de Whitman de 1855 est présentée par son préfacier Roger Asselineau comme un des grands chefs-d’œuvre américains, innovateur. Les pulsions homosexuelles, en un temps impensables, ont largement troublé son équilibre. L’œuvre serait le lieu privilégié pour que s’accomplissent ces désirs. « Je chante le soi-même » écrit-il dans un poème et, dans une partie complète de son œuvre, il propose un « Chant de moi-même », pour accéder à la vérité d’un être humain, mis en mots.
On trouve cette quintessence dans le poème « À une prostituée » : « Ne te trouble pas – sois à l’aise avec moi – je suis Walt Whitman, aussi libéral et robuste que la Nature, // Tant que les eaux ne refuseront pas de briller pour toi ni les feuilles de bruire pour toi, mes paroles ne refuseront point de briller et de bruire pour toi. » Séduisante modernité de l’expression poétique.
William Blake
Publiés sur la page de gauche en caractères d’imprimerie, les poèmes sont confrontés aux fac-similés en anglais de la main même de Blake, gravures et dessins presque ésotériques, portant en eux l’ultime aspiration à l’au-delà chez ce poète qui croit à l’imagination. Jean-Yves Masson, préfacier des Chants de l’innocence et de l’expérience, insiste sur l’ouverture à l’inconscient d’une œuvre qui « passe avant tout par le rêve ». Il ne s’agit pas ici de juger d’une poésie aux accents surannés, mais de bien rendre compte d’une édition qui permet d’accéder à un objet révélateur d’une manière proche d’un acte de foi, car « Tout ce qui naît de naissance mortelle / Doit être consommé avec la terre / Pour ressusciter délivré de l’engendrement ».
Emily Dickinson
Disons d’emblée qu’en dehors de la beauté même des poèmes d’Emily Dickinson, l’Autoportrait au roiteletproposé dans cette collection offre 23 planches couleur de l’Herbarium de la poète. Ce livre est un bien bel objet. Dans « Un thé de marbre », titre de sa préface, Patrick Reumaux se montre sobre et efficace. De plus, il ajoute de pertinentes remarques au fil de la correspondance d’Emily Dickinson avec les sœurs Norcross (les petites cousines) et T.W. Higginson. Reumaux insiste pour dire que « ses lettres, bien sûr […] sont des poèmes ». On ne peut qu’obtempérer si on se fie à cette phrase percutante extraite d’une lettre de 1861 concernant les fleurs : « l’ombre n’a pas de tige, elles n’ont pas pu la cueillir ». Précisons que les lettres à Higginson sont elles-mêmes truffées de poèmes. Reumaux insiste pour dire que les poèmes choisis, La gloire est une abeille, 1858-1881, « montrent […] que ce que l’on appelle poésie est une chose extrêmement rare, et vitale. Quelque chose dont on ne peut se passer pour vivre. Et qui aide à mourir. » Voici une forte proposition poétique offerte à la curiosité.
La famille Brontë
Livre pour les passionnés des sœurs et frère Brontë, ce Monde du dessous leur est consacré. Patrick Reumaux, encore, nous restitue ce qu’il reste de cette œuvre colossale et perdue de la fratrie. N’y survivent que les Poèmes et proses de Gondal et d’Angria, qui nous sont restitués avec force commentaires.
Il s’agit d’œuvres de jeunesse, venues d’un jeu, qui a culminé dans l’écriture d’un monde miroir, « l’en dessous » du titre, où on s’aime, se bat, se trahit, comme il se doit.
Ces vers de Charlotte Brontë, « Ne soupire plus – c’est un rêve / Si vif qu’il ressemble à la vie », donnent le ton et l’essence de l’entreprise. L’iconographie est remarquable et l’ensemble de ce livre donne à lire les poèmes insérés dans les proses narratives qui les contenaient, reflétant souvent le trouble des personnages.