D’amour et d’amitié

Dawn Dumont raffine son alliage d’humour et de tragédie dans ce portrait d’une amitié à quatre.
Photo: Thistledown Press Dawn Dumont raffine son alliage d’humour et de tragédie dans ce portrait d’une amitié à quatre.

« Pourquoi c’est Friends qui joue à chaque poste ? » demande Everett environ au quart de Perles de verre. Nous sommes alors en 1995, au sommet de la popularité de la célèbre comédie de situation mettant en vedette six amis. La mise en abyme ne pourrait être plus limpide : c’est à une sorte de version autochtone de Friendsque nous convie Dawn Dumont, bien qu’avec des personnages baignant considérablement moins dans la ouate que ceux de la série américaine.

Le troisième roman de l’écrivaine crie des Plaines a en effet quelque chose de la hangout comedy, comme on dit dans la langue de Jennifer Aniston, au sens où il est tout simplement agréable de passer du temps en compagnie de ces quatre jeunes, qui ont tous quitté leur communauté non pas pour New York, mais pour… Saskatoon !

Plus ou moins officiellement colocataires, ils s’appellent Nellie, la plus ambitieuse du groupe, qui aspire àdevenir avocate, Everett, un irrécupérable tire-au-flanc doublé d’un indomptable courailleux, Julie, la jolie fille incapable de se projeter dans l’avenir, et Taz, le plus indigné des quatre quant au sort des Premières Nations, ayant pour sérieux talon d’Achille une soif digne d’un lavabo. Ils sont à la fois droits et tout croches, courageux et désœuvrés, pleins d’espoir et résignés.

Campé entre février 1993 et avril 2008, Perles de verre raconte ainsi le quotidien — études, party, relations amoureuses — d’un groupe d’adulescents tentant de trouver leur place dans un monde qui les accueille avec des degrés variables de préjugés, voire de violences. Comme dans ses deux précédents romans (On pleure pas au bingo et La course de Rose), Dawn Dumont fait preuve d’une mystifiante capacité à embrasser de nombreux clichés au sujet des personnes autochtones (rapport à l’alcool, violence conjugale, paresse), tout en parvenant par le fait même à les déconstruire.

C’est peut-être tout simplement ce que permet la fiction romanesque, lorsqu’une autrice confère une réelle densité à ses personnages et les présente sous plusieurs facettes, et non comme des archétypes. Les dialogues pétillants, son arme secrète, contribuent aussi beaucoup à ce que Nellie, Everett, Julie et Taz deviennent rapidement comme nos amis.

La question des pensionnats et du traumatisme intergénérationnel qu’ils ont provoqué et celle du profilage racial que subissent les personnes autochtones demeurent quant à elles en sourdine, ou du moins ne sont jamais abordées dans une perspective dépassant celle des personnages, qui sont certes la proie d’un système, mais qui ne se conçoivent jamais eux-mêmes comme des victimes.

Ode au réconfort de l’amitié et au puissant pouvoir de l’autodérision, Perles de verre témoigne finement des doubles injonctions avec lesquelles doivent composer les personnes autochtones qui vivent hors des réserves, à qui l’on demande de renoncer à leur identité tout en les réduisant trop souvent à leur autochtonie. Mais il s’agit surtout d’un roman drôle et bouleversant, qui contient tout ce que la vie a de tragique et de lumineux.

Perles de verre

★★★★

Dawn Dumont, traduit de l’anglais par Daniel Grenier, Éditions Hannenorak, Montréal, 2021, 370 pages

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