Montréal, une capitale envolée en fumée

Que sait-on de ce bref moment de l’histoire où Montréal fut, de par son importance réelle et déterminante, la capitale du Canada ? Le Parlement y siégeait. Il fut incendié par des émeutiers. Comme lieu de délibération, par la suite, on préféra à Montréal des lieux jugés plus sûrs, en tout cas réputés moins animés : Toronto, puis Québec, et enfin cette ville de bûcherons, Bytown, rebaptisée Ottawa.
Dans la nuit du 25 avril 1849, une foule en colère, des anglophones soulevés entre autres par la prose d’une édition spéciale du journal The Gazette, attaque le parlement canadien. Cet édifice public, cœur du système politique, est alors situé à deux pas du port de Montréal, non loin de ce qui est aujourd’hui le musée Pointe-à-Callière. Cette foule, agitée par une suite de discours politiques livrés au Champ-de-Mars, en veut à ceux qui ont pris la décision d’indemniser financièrement les victimes de la dure répression militaire des soulèvements de 1837-1838.
Les opposants réunis au Champ-de-Mars sont invités à foncer sur le parlement, à déborder le pouvoir lui-même, dans un coup de force qui prend les allures d’un coup d’État. Chauffés à blanc par les discours, animés au possible par le bouillonnement de leur propre ressentiment, les manifestants se précipitent, des jurons plein la bouche, l’écume aux lèvres, le poing en l’air. « Au combat ! » lancent les agitateurs.
La foule fracasse les vitres, défonce les portes, entre en hurlant. Rien ne résiste à la furie qui s’est emparée de ces hommes. Les pupitres des députés sont brisés. Tout est saccagé. Les occupants qui ne réussissent pas à fuir devant ces assaillants sont violemment malmenés, pourchassés à travers les corridors, molestés, frappés, battus. Les armoiries du Royaume-Uni sont prises à partie. Le lendemain, la maison de Louis-Hippolyte La Fontaine est attaquée. Tout est cassé. Le feu est mis aux livres et à la maison qui finit par être sauvée. Les écuries y passent.
Quand le gouverneur de la colonie, le comte d’Elgin, apparaît le 30 avril devant ces mêmes hommes en furie, il reçoit sans tarder une volée de grosses pierres. Après avoir réclamé sa tête depuis un moment, les émeutiers ne veulent maintenant rien de moins que sa peau. Il échappe au déchaînement de cette foule pour la simple raison que des hommes en armes veillent sur lui. Bientôt, tout brûle. La bibliothèque, 25 000 livres, de même que de précieux documents d’archives qu’abrite ce bel édifice à colonnades y passent.
Exacerbation des conservateurs
En 1844, Montréal avait été désigné capitale de la province du Canada. Le marché public qui trônait là, le marché Sainte-Anne, installé dans un espace né de la canalisation souterraine d’une rivière, avait été transformé en un parlement. À compter de 1846, rappelle Louise Pothier, l’abolition des mesures protectionnistes sur le commerce des grains, avec en toile de fond la grande famine en Irlande ainsi que des politiques coloniales favorables à une autonomie relative, exacerbe les esprits les plus conservateurs.
La tension monte en flèche à Montréal. Au point où « la destruction du parlement, geste insensé, signe la fin d’une époque pour les impérialistes », poursuit la conservatrice et archéologiste en chef du musée Pointe-à-Callière dans les pages de ce livre couleur qui rend compte des connaissances sur les lieux mêmes des événements, sur la base d’une suite de fouilles archéologiques et de recherches réalisées au cours des dernières années.
Ce livre présente quantité d’artefacts retrouvés à l’occasion de fouilles. Des cornes des animaux qui paissaient, le long de la Petite rivière, avant sa canalisation en 1832. Des pièces de vaisselle, certaines donnant à voir des figures politiques. Des livres calcinés. Des rebuts de fer-blanc qui montrent, par leur découpe, avoir été travaillés avec un outil utilisé plus ou moins à partir de 1825. Cette année-là, Montréal compte 22 000 habitants. La population a augmenté de 50 % en dix ans. Le port de cette jeune métropole coloniale de l’Empire britannique se trouve alors en pleine expansion.
L’historienne Joanne Burgess explique comment une poignée de citoyens en vient à réclamer un marché public d’importance. Ce sera le marché Sainte-Anne. Les fouilles archéologiques et l’étude de documents permettent de mieux comprendre désormais la dimension imposante de ce bâtiment. Des crochets à viande et des restes d’animaux laissent comprendre l’activité qui s’y déroulait. Les bouchers apparaissent comme les rois de ce marché public où les poissonniers ont été refoulés. Mendiants, voleurs à la tire et prostitution font aussi partie du paysage, rappellent les historiennes Mary-Anne Poutanen et Sherry Olson. Entre 1817 et 1899, rappelle pour sa part l’historien Jean-Claude Robert, qui compte au nombre des 22 collaborateurs de cet ouvrage, ce Montréal subit les effets d’une demi-douzaine de pandémies de choléra.
À travers des pages entières consacrées à la culture matérielle, Montréal capitale remonte d’agréable façon le fil du temps et offre, chemin faisant, un vaste panorama d’un Montréal des commencements du XIXe siècle. Grâce à des modélisations 3D, on retrouve même ces espaces du milieu du XIXe siècle et ceux qui y vivaient. Ne reste plus qu’à y situer les déchirements politiques de ce monde colonial.