«Journal d’un bibliothécaire de survie»: relations boréales

C’est avec l’idée de prendre à rebours une campagne voulant « Sauver les livres » qu’est né ce projet un peu fou. Et si ce n’étaient pas plutôt les livres qui nous sauvent ? s’est demandé l’artiste et poète multidisciplinaire Charles Sagalane. Après tout, ils nous sauvent de l’ignorance, ils nous sauvent des autres et souvent de nous-mêmes.
Suivant l’étincelle, le brasier boréal pouvait s’étendre : créer un réseau de « bibliothèques boréales », petits kits de survie pour l’esprit qui essaimeraient depuis son village de Saint-Gédéon, sur la rive est du lac Saint-Jean.
Après avoir échoué sur l’un des 17 îlots au large de Saint-Gédéon, passée la saison des petits fruits, un naufragé pourrait toujours mâchouiller des racines et des cônes. « Mais que pourrait-on faire contre l’ennui ? » D’où l’idée d’y installer des cabanes à livres, à la fois clin d’œil et viatique pour le promeneur de passage. Notre bibliothécaire de survie investit aussi d’autres lieux, de l’île Miscou au Nouveau-Brunswick jusqu’à Saint-Boniface au Manitoba, en passant par Cacouna et Tadoussac ou même un coin perdu du Dakota du Nord.
C’est dans la foulée de ce projet pour le moins original que Charles Sagalane (Bric-à-brac au bord du lac, Atelier des saveurs) publie son septième livre à La Peuplade, Journal d’un bibliothécaire de survie. Une sorte de journal de voyage poétique (japonais, précise-t-il) qui fait le grand écart entre Thoreau et Bashô, tout en faisant la part belle aux rencontres et aux complicités (dont Jean Désy, Georgette LeBlanc, Daniel Canty et Marie-Andrée Gill).
De 2013 jusqu’au confinement de 2020, le poète né en 1968 nous raconte à sa manière son aventure, ses « relations boréales » entrecoupées de lettres à Thoreau et à Bashô, d’observations, de réflexions et d’hommages à l’amitié. « J’ai écrit en suivant l’alphabet de la nature, au sortir du canot, étourdi par les vagues. »
Un livre parsemé de plusieurs haïkus — poèmes très brefs d’origine japonaise comptant 17 syllabes —, savoureux petits fruits célébrant l’évanescence des choses qui sont ici le résultat de trente ans de fréquentation assidue de la poésie japonaise. « L’art japonais m’a appris à vénérer les arbres, sanctifier les fleurs, élever les pierres », avoue Sagalane à Bashô, l’immense poète japonais du XVIIe siècle, « contemporain de Jean Talon, de Molière et de Kondiaronk ».
Road trip nord-américain, fait en canot, en raquettes ou en Subaru (un carrosse japonais), ce Journal d’un bibliothécaire de survie fixe les « relations » d’un voyageur du temps et de l’espace, fou du Japon mais toujours partant pour célébrer le territoire québécois. En contemplant l’archipel du Bic, par exemple, le regard déjà perçant de l’écrivain se double de réalité augmentée. Les canots des Micmacs, les petits voiliers des Basques et les caravelles de Jacques Cartier dansent sous ses yeux : « Tous les temps du territoire sont là ».
Numérologue boréal, bibliophile, chasseur-cueilleur, semeur à tous vents et adepte de la décantation lente, Charles Sagalane nous offre un livre généreux et bigarré, nourri par le souffle des saisons et par « la voie de l’épure japonaise ». Un journal aux phrases polies et souvent pleines de sens, farouchement fidèle à l’esprit du projet.