Yannick Marcoux court toujours après sa prochaine gorgée de vie

Yannick Marcoux a très tôt souhaité construire sa vie autour de la littérature. Mais il n’a longtemps pas su du tout comment arriver à ses fins. Il abandonne sa maîtrise à 26 ans, afin de plancher à temps plein sur un projet de roman et se projette déjà en écrivain primé, sans se douter des années d’errance qui l’attendent. « Avant ça, je m’enlignais pour être prof de cégep, comme tous mes amis », se souvient-il, en résumant par le fait même le destin professionnel de tant de diplômés en lettres.
« Ce qui m’est arrivé à ce moment-là, c’est l’épreuve du réel. Je me suis dit : “Je vais essayer de vivre de ma plume, me prouver que je suis capable.” Mais j’ai été pris par la peur du vide. Ce n’était pas du tout angoissant de penser à l’avenir tant que je m’imaginais prof, puis soudainement, c’est comme si la liberté, que pourtant je revendiquais, m’angoissait. » Il ajoute, dans une formule volontairement euphémisante, comme pour tenir à distance cette vieille angoisse : « Ç’a été des années un peu difficiles. »
C’est de ses années un peu — beaucoup — difficiles dont L’horizon des phares, le premier livre de celui qui est aujourd’hui critique littéraire au Devoir, trace le récit versifié. « J’ai gueulé / houspillé / j’y croyais / à la déferle de ma voix », écrit-il, rempli de la désillusion d’avoir vu sa colère se heurter contre le mur de l’apathie.
Yannick Marcoux est rédacteur en chef d’un magazine de tennis (!) quand est déclenchée la grève étudiante de 2012, qui se transformera vite en fervent mouvement social. « Je travaillais dans un bureau avec des séparateurs gris, des néons, pas de fenêtre, tsé, le cliché », raconte l’auteur. Une situation ne correspondant déjà pas exactement à ses idéaux de jeunesse. Puis survient cette mobilisation historique. « Et j’étais entouré de gens qui défendaient les décisions des libéraux ! Ça me faisait capoter. Mes collègues, c’étaient des humanistes, mais ils étaient aveuglés par la couverture médiatique des événements. J’essayais au fur et à mesure de réparer le pont qui se brisait tranquillement entre nous. L’heure du dîner se transformait toujours en débat. »
Présent chaque soir lors des manifestations du centre-ville, Yannick Marcoux reprend au même moment l’écriture, qu’il avait délaissée. Il goûte aussi à une relation amoureuse dont l’ivresse, dans L’horizon des phares, se confond avec celle que lui procure alors ce sentiment de ne pas être seul à croire en un autre monde. « Parfois, on pense qu’on n’est pas beaucoup à porter des idées toutes simples comme l’amour de son prochain. Puis tu sors dans la rue et tu te rends compte qu’on est une estie de gang ! Et ça fait tellement du bien ! Manifester, c’est un vibrant, mais éphémère, rappel qu’on est une estie de gang à ne pas être satisfaits, et c’est facile de l’oublier, tellement les voix qu’on entend en général, les voix du pouvoir, du système, ce ne sont pas celles-là. »
Comme chez tant de poètes avant lui, Gaston Miron étant sans doute ici le plus célèbre, la quête amoureuse et celle d’une autre société s’entrelacent donc dans un même élan d’euphorie : « enfin tu te lèves / t’es un ciel au grand complet / et tu m’invites dans ton orbite ».
« Il y a dans l’engagement amoureux quelque chose de semblable à s’engager dans un mouvement populaire, parce qu’ils nous donnent tous les deux le goût d’offrir la meilleure version de nous-mêmes, observe Yannick Marcoux. Mais il y a aussi des parallèles à faire entre la gifle de la peine amoureuse et la gifle de 2012. Je ne sais pas si on s’est remis de cette blessure-là. »
Ne jamais cesser d’avoir soif
Dédié à ceux et celles qui étaient là « à l’autre bout du fil », au moment où cela comptait le plus, L’horizon des phares célèbre le rempart de l’amitié contre l’appel du gouffre, pour ne pas dire contre le désir de mort, face auquel se retrouve son narrateur aux abois, usé par trop d’emballements amoureux et autant de désenchantements, ainsi que par ce printemps dont les bourgeons se seront rapidement refermés sur eux-mêmes. « C’est tellement grand l’aide qu’ils m’ont apportée que je voulais leur dire merci », confie Yannick Marcoux.
« je me suis interdit / vos cœurs entêtés de fête / vos bras ouverts contre le temps / vos cris en broussailles / et vos rires // nos rires », écrit-il. « il y a eu des misères comme des lunes / et combien de levers de soleil / mais aujourd’hui / j’ai repris ma place / dans cette nuée vivante / ce clan qui chante plus fort que les oiseaux // il suffisait de franchir l’intangible douane / d’accepter la main tendue / et d’embrasser / cette inextinguible soif ».
« Si je parle d’inextinguible soif, explique-t-il, c’est parce qu’il y a plusieurs de ces amis qui sont inspirants précisément parce qu’ils ne sont jamais sustentés. Ils sont toujours en train de courir après leur prochaine gorgée de vie. »
Yannick Marcoux, 38 ans, est aujourd’hui le père heureux (bien qu’un peu ensommeillé) de deux garçons, il continue de servir des bières à la brasserie Dieu du Ciel, son port d’attache où il travaille depuis plus de quinze ans, et il tente d’aménager pour l’écriture le plus d’espace possible. Il publiera son premier roman, L’île sans pont, chez XYZ, en mars prochain.
« l’aurore sans doute », tel est le titre de la dernière partie de L’horizon des phares, phares dont les faisceaux semblent avoir triomphé pour de bon de l’obscurité. Et si Yannick Marcoux sait trop bien que la littérature ne changera pas le monde à elle seule, il refuse de cesser de croire qu’elle peut de grandes choses, et que ce Québec polarisé dont le Printemps érable a peut-être été l’acte fondateur doit être pacifié. « La littérature a opéré plein de miracles et ne va pas arrêter de le faire. S’il y a une chose que peut faire l’écriture, c’est de créer ces moments de rencontre. J’écris dans l’espoir d’une réconciliation. »