Faire exploser le sens

«Football-Fantaisie», contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne tourne pas autour d’un «pool» de la NFL. C’est plutôt le nom d’une ville établie sur l’archipel de Banane-Banane, située pas très loin des côtes de la Gaspésie, où l’on parle une étrange langue constituée de mots issus du français dont le sens aurait été changé.
Photo: Éditions Pow pow «Football-Fantaisie», contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne tourne pas autour d’un «pool» de la NFL. C’est plutôt le nom d’une ville établie sur l’archipel de Banane-Banane, située pas très loin des côtes de la Gaspésie, où l’on parle une étrange langue constituée de mots issus du français dont le sens aurait été changé.

Depuis son arrivée dans le monde de la bédé, il y a de cela une bonne quinzaine d’années, Zviane démontre indéniablement sa capacité à porter un regard lucide et ludique sur le monde qui l’entoure. Regard qu’elle fait totalement exploser pour notre plus grand plaisir dans Football-Fantaisie, qui paraîtra au cours des prochaines semaines aux Éditions Pow Pow.

Bande dessinée, donc, qui est née de la fesse gauche de Yoyolalala, publié le printemps passé, alors que l’autrice nous donnait un avant-goût de cet univers situé au point de jonctionentre le réel et une forme d’extrapolation du réel tel qu’il pourrait être imaginé par un enfant n’ayant accès qu’à des bribes de ce qu’il entend aux nouvelles lorsque la télévision joue en arrière-plan.

Alors, Football-Fantaisie, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne tourne pas autour d’un pool de la NFL. C’est plutôt le nom d’une ville établie sur l’archipel de Banane-Banane, située pas très loin des côtes de la Gaspésie, où l’on parle une étrange langue constituée de mots issus du français dont le sens aurait été changé. Et c’est sur cet archipel que se retrouvent Frédérique (12 ans) et Annabelle (6 ans), après s’être sauvées du laboratoire d’un savant fou, ex-doctorant, mené par son désir de se venger du milieu universitaire dont il trouve l’éthique trop contraignante. Autrement dit, il est allé « faire ses recherches ».

À tout cela on ajoute une campagne électorale nationale et un climat extrêmement tendu, des manifestations pour la construction d’un pont reliant Banane-Banane au continent étant en effet au cœur d’un litige identitaire.

Bref, on a affaire ici à un environnement très complexe, mais surtout intelligemment construit : l’autrice s’amuse à parsemer l’histoire de références à la réalité en insérant, par exemple, des cases publicitaires pour des produits reconnaissables qui deviennent un commentaire sur l’intrigue. En outre, Zviane s’amuse avec les niveaux de langage. La langue parlée par les Bananiens n’étant jamais traduite et, selon le niveau d’éducation ou l’âge des personnages, ceux qui parlent français le font avec plus ou moins de fautes dans le texte. On a les deux pieds dans l’humour méta, ici !

Pour ce qui est du dessin, on reconnaît immédiatement le rendu propre à l’autrice : il est nerveux et rapide et non sans rappeler le plaisir enfantin de dessiner, tout en faisant aussi référence aux fanzines du début des années 1980.

Cela donne finalement l’œuvre la plus ambitieuse (plus de 500 pages), intelligente et aboutie d’une Zviane en pleine maîtrise de son art ,dont les subtilités invitent à une deuxième lecture, ne serait-ce que pour le plaisir d’en saisir toutes les couches.
 

Football-Fantaisie
★★★★ ​1/2

Zviane, Éditions Pow Pow, Montréal, 2021, 516 pages

Choisir le déchirement

 

Choisir de donner la mort à un être cher est, sans aucun doute, une des décisions les plus difficiles qu’un humain puisse prendre. Qui plus est lorsqu’il s’agit de sa propre mère. C’est le sujet qu’a décidé d’aborder l’autrice d’origine allemande Zelba dans ce récit qui aura mis 13 ans à naître, alors qu’elle a dû elle-même prendre cette décision avec sa propre sœur. C’est beau et sensible et, surtout, une lecture éclairante, ce sujet demeurant, encore et toujours, d’actualité.

Mes mauvaises filles
​★★★★
Zelba, Futuropolis, Paris, 2021, 160 pages

Aller au fond des choses

 

Dans ce récit méticuleusement documenté, le journaliste Soren Seelow (Le Monde), aidé par Kévin Jackson (Centre d’analyse du terrorisme) et par le dessinateur Nicolas Otéro, nous plonge dans les dessous de l’enquête des attentats terroristes au Bataclan et au Stade de France, qui ont causé la mort de 130 personnes le 13 novembre 2015. On y découvre ainsi l’impuissance des services de renseignements et la complexité d’une telle enquête qui, au bout du compte, trace un portrait du groupe armé État islamique qui fait froid dans le dos.

La cellule Enquête sur les attentats du 13 novembre 2015
★★★★

Soren Seelow, Kévin Jackson et Nicolas Otéro, Les Arènes, Paris, 2021, 224 pages

La marraine

On savait, jusqu’à tout récemment, peu de choses sur Stéphanie Sainte-Claire. Surnommée Queenie, née en Martinique en 1897, elle est devenue l’une des chefs de gangs criminels de Harlem les plus redoutés à la fin de la prohibition avec ses entreprises de paris illégaux et beaucoup de corruption. Elle a réussi à survivre à ce monde impitoyable avant de devenir activiste politique jusqu’à la fin de sa vie, en 1969. C’est son histoire qui est adroitement racontée ici par l’autrice et documentariste française Aurélie Lévy, portée par le dessin dur et coupant de la peintre new-yorkaise d’origine martiniquaise Elizabeth Colomba. Parions que cela sera adapté au cinéma.

Queenie La marraine de Harlem
★★★ ​1/2

Aurélie Lévy et Elizabeth Colomba, ​Éditions Anne Carrière, Paris, 2021, 168 pages
 

Une occasion ratée

Cet hommage à Lucky Luke par l’auteur allemand Mawil, qui nous présente une vision rafraîchissante du célèbre cow-boy obligé d’aller porter un vélo en Californie, aurait pu être drôle et intelligent. Et il l’est, jusqu’à ce que Lucky Luke soit capturé par des « Indiens » caricaturaux qui semblent sortis directement des années 1950. Il y avait là, pourtant, une occasion de faire mieux. Dommage.

Lucky Luke se recycle
​★★
Mawil, Dargaud, Paris, 2021, 64 pages.

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