«Fèms magnifiques et dangereuses»: la fabuleuse odyssée d’une fille trans

« Je voulais quelque chose qui déchire, quelque chose d’intense, avec du sexe torride et de la violence de gangs et peut-être des zombies et plein de magie », annonce la narratrice sans nom de Fèms magnifiques et dangereuses, roman de l’artiste multidisciplinaire trans Kai Cheng Thom. Et, avec encore plus d’éléments fantastiques, elle tiendra ses promesses alors qu’elle nous entraînera dans ce fabuleux récit hybride au réalisme magique où, entre une lettre à sa sœur Clémence et un poème d’amour à son canif tiré de son carnet, elle partira à la recherche de son propre moi.
Adolescente d’origine chinoise, celle qui se dit « fille dangereuse » et « reine de l’évasion » entreprend de raconter comment elle a quitté sa famille de La Morose et s’est retrouvée sur la Rue des Miracles où l’ont recueillie « les fèms les plus ardentes et les plus puissantes » de La Ville de Cendre et de Lumières.
« Selon la légende, me dit ma nouvelle amie Kimaya, la Rue fut créée il y a plus de soixante-dix ans, quand une fèm fut battue à mort par un client potentiel devant une douzaine de témoins passifs. »
La jeune fille, qui a pour partenaire sexuel.le un.e ami.e fantôme, y apprendra aussi qu’elle est fish : « Fish veut dire que je suis petite et imberbe avec des os fragiles. Ça veut dire que les gens vont me regarder et ne sauront pas que je suis une fille trans, que le danger et les mensonges et le vide courent, électriques, sous ma peau. »
Outre Kimaya, figure maternelle, on retrouve Rapunzelle qui bloque la lumière du soleil, Valaria la Déesse de la Guerre, Lucretia la Princesse, Alzena la Sorcière et Soraya, dont le meurtre sera à l’origine d’une sanglante révolution des femmes trans. Forte des enseignements de son père et des abeilles tueuses qui vrombissent dans son sang, la jeune fille deviendra une redoutable guerrière.
Conte urbain initiatique peuplé de personnages merveilleux, Fèms magnifiques et dangereuses rend compte dans une langue fulgurante et avec un imaginaire décomplexé des difficultés des femmes trans, du danger qui les guette à chaque coin de rue, des préjugés qu’elles devront combattre toute leur vie. Évoquant tour à tour la poésie crue de Josée Yvon, la cruauté des personnages de Michel Tremblay, la flamboyance des drag queens de RuPaul’s Drag Race et la violence outrancière du cinéma de Quentin Tarantino, l’univers que dépeint Kai Cheng Thom traduit une farouche volonté de donner une voix à celles dont le parcours de vie n’a rien à voir avec celui de Caitlyn Jenner, celles dont le destin n’est pas celui d’un conte de fées édulcoré que veulent bien véhiculer les médias. Ici, pas de fin heureuse à la sauce Disney !
À cet égard, saluons le travail de Kama La Mackerel, traducteur.rice spécialisé.e dans les œuvres de femmes trans racisées canadiennes. Par sa façon d’utiliser la langue inclusive et de donner une seconde vie à des expressions afin de rendre justice au texte original, iel fait non seulement montre d’une grande sensibilité, mais témoigne aussi de l’évolution de la langue, des mœurs et de la société.