«Une fille sans fusil»: Huguette aussi

Perçant un silence devenu tonitruant avec les années, celui-là même « qui envahit l’espace sonore quand on ne peut pas dire ce qu’on veut dire, et qui reste là, immobile et glacé », Huguette replonge dans son passé, dans sa jeunesse peuplée de fantômes, un hier douloureux écorché par des hommes. Dans Une fille sans fusil, l’autrice, cinéaste et comédienne Paule Baillargeon évoque avec audace, force de frappe et intensité la souffrance de cette femme qui résonne bien au-delà de son nom.
Une femme, à l’image de tant d’autres, soumise et silencieuse devant la brutalité et la violence de certains hommes. Huguette raconte ainsi treize des quatorze agressions qui l’ont, petit à petit, brisée, des situations terribles vécues avec des hommes sans scrupule, avides de peau fraîche, de satisfaction brève et animale. Un récit fragmenté par des allers-retours entre ce passé douloureux et le présent, mais aussi par des appels à la littérature et à l’art dans lesquels l’héroïne tente de trouver des réponses ou d’apaiser sa souffrance.
Il y a notamment cette idée de se sauver elle-même, de s’acheter un fusil comme la femme de Jean Desailly dans La peau douce, de Truffaut, qui le tue parce qu’il l’a trompée. L’autrice d’Une mère suivi de Trente tableaux s’accroche par ailleurs à Jeanne d’Arc, figure mythique, résistante et courageuse que son héroïne admire, à qui elle voudrait tant ressembler, cette femme à la fois « sainte et guerrière […] qui ne sera pas pétrifiée de peur face à toutes ces hideuses faces de monstres libidineux ».
Aussi bref qu’intense, à l’image des souvenirs rappelés à la mémoire, des séquences flash, Une fille sans fusil raconte l’horreur avec acuité, dévoile une sexualité orageuse dans une langue franche, sans détour, une histoire qui s’offre, au final, comme une délivrance.
Extrait d’«Une fille sans fusil»
« Je serai Huguette, puisqu’il le faut, Huguette parmi les Huguette. En attendant, j’aurai rêvé d’un fusil et d’hommes étendus morts dans la ruelle, j’aurai dormi toutes ces années avec un marteau sous mon lit, j’aurai écrit des mots qui tuent, j’aurai tout fait pour disparaître, et puis après, beaucoup plus tard, bien après, quand la jeunesse sera partie à jamais avec son cortège d’horreurs, après tant de temps passé à pleurer, comme si pleurer était un but dans la vie, on renaît de ses cendres. »