Un peu de chaleur au chevet d’octobre

Dans le ciel de septembre, l’été, peu à peu, a mis les voiles, nous projetant dans octobre et ses couleurs. Nos jeunes, de retour à la garderie ou à l’école, célèbrent les retrouvailles amicales. Ces rencontres sont précieuses, mais elles peuvent aussi constituer de grands défis. Afin que la littérature accompagne ces moments charnières d’existences en construction, voici quelques livres à poser sur leur table de chevet.
Une chose étrange et gentille (et invisible)
Les vers sont dans plusieurs albums jeunesse. On les prend alors pour ce qu’ils sont : rythmes, musiques ou fragments narratifs. C’est plus tard, bien souvent à la rencontre des poètes symbolistes, que les vers deviennent d’insaisissables messages cryptés. Plusieurs alors en viennent à craindre la poésie. La collection « Poésie » de La courte échelle s’emploie à corriger le tir, invitant les préados à une initiation contemporaine au genre.
Le plus récent opus, Une chose étrange et gentille (et invisible), de Vincent Lambert, nous invite à la rencontre d’un garçon « possédé / par ce que nos mères appelaient / une mauvaise influence ». Sur le chemin noueux de son identité, il cherche à apprivoiser l’énergie débordante qui le consume, jusqu’à embrasser sa sensibilité et sa force intime.
Dans une narration limpide nourrie d’images fortes, cette immersion rythmée et puissante au cœur de l’être nous propose de regarder l’humanité par-delà son spectacle, cherchant plutôt à mettre en mots ce qui la rend vibrante et précieuse : « je voulais voir les gens pas de vêtements / les gens tout nus / les gens seuls / les gens comme ils sont / quand personne ne regarde / quand les statues fatiguées / peuvent enfin / baisser les bras ».
Je parle comme une rivière
Dans ce livre de Jordan Scott, on retrouve aussi un narrateur qui tente de trouver sa place dans le monde. Or, son rapport aux autres est entravé parce qu’il bégaie : « Je me réveille chaque matin avec le son des mots tout autour de moi. Et je ne peux pas tous les prononcer. » Construit avec une économie de mots, Je parle comme une rivière propose un récit à fleur de peau qui nous happe d’entrée de jeu, et dont on ne peut sortir que bouleversé.
Il faut dire que les tableaux de Sydney Smith, qui allient aquarelle, encre et gouache, créent une proximité inouïe avec le personnage. L’univers de l’illustrateur est imprégné d’une douce mélancolie, qui conjugue à merveille le portrait intimiste et les grands paysages. Absolument magnifique.
Belle famille, Malik !
Puisqu’il s’agit de rejoindre la lumière, il importe de se tourner vers Belle famille, Malik !, plus récente proposition d’Édith Bourget, qui n’est rien de moins qu’une douche de soleil. Le jeune Malik, 10 ans, est l’aîné d’une famille de cinq enfants, et il se présente à nous l’humeur égratignée, parce que son petit frère l’a réveillé durant la nuit.
Auprès de sa famille puis de ses amis, il chemine avec, sur les épaules, le poids de ses responsabilités d’aîné. Il lui arrive d’envier Dylan, son ami qui est seul à la maison : « Mes parents me félicitent souvent parce que je suis très autonome et que j’aide mes frères. Bien sûr, c’est normal que je le fasse, mais parfois, je trouve ça difficile. » Au gré de ses doutes, Malik s’émancipe, nous invitant dans la danse de son quotidien. Ce court récit, empreint d’une belle tendresse, met en scène une diversité trop rare dans notre paysage littéraire, et constitue une parfaite lecture pour qui apprend à lire.
La collection de moments
Dans La collection de moments, de Jean-Pier Gravel, Boubou a quant à lui régulièrement le cœur dans la grisaille. Il voudrait s’effacer et se faire oublier des malheurs, mais il peine : « Je voulais être tout petit, encore plus petit, même si je suis déjà très petit. » Pour le divertir, sa mère l’invite à prendre congé de la maternelle pour vivre, avec elle, une journée faite de petits moments précieux. En procurant du bonheur à autrui, Boubou apprend à s’extirper de sa langueur. Une histoire délicate qui rebondit sur les douces illustrations d’Amélie Dubois.
Un dessin pour papa
Il n’y a que peu d’éclaircies dans l’univers d’Un dessin pour papa, de Sylvain Bouton. C’est que le papa en l’occurrence est en prison : « La pièce où je me trouve manque de vie, de couleur, de rires d’enfants… Vous me manquez terriblement. » Celui-ci s’adresse à ses enfants, entretenant ainsi, à défaut de mieux, une relation épistolaire. Chaque lundi, sa cellule se peuple des nouveaux dessins de ses enfants qui viennent colorer son humeur et, littéralement, les illustrations de cet album en teintes de gris. La liberté et l’attachement sont ici décloisonnés avec légèreté.

La légende de Paul Thibault
Les troubadours avaient régulièrement recours à la rime pour conférer une musicalité au texte et faciliter sa mémorisation. Annie Bacon, avec La légende de Paul Thibault, s’inscrit en filiation avec de multiples traditions. D’abord par sa langue, dynamique et versifiée, qui convoque la musique des troubadours, puis par le folklore, en campant un coureur de bois et son ami, Grugeux le castor, dans des épopées propres au conte, à ses excès et ses invraisemblances. Alimenté par le trait précis et dynamique des illustrations de Sans Cravate, cet album compile trois récits aussi ludiques que rythmés. Amusant.