«La porte du voyage sans retour»: racines africaines

« J’ai fait ce voyage au Sénégal pour découvrir des plantes et j’y ai rencontré des hommes », raconte un naturaliste français.
Quelques mois avant sa mort, et cinquante ans après les faits, Michel Adanson, le protagoniste de La porte du voyage sans retour, le troisième roman de David Diop, est une sorte de savant misanthrope, « prisonnier volontaire d’un de ces rêves d’encyclopédie du siècle des philosophes », dont l’unique but avait été de s’élever au sommet de la science botanique.
Pour cela, il avait sacrifié la majeure partie de sa vie, à commencer par sa fille, dont il n’avait jamais été proche. Mais l’homme avait aussi une autre obsession.
À sa mort, sa fille Aglaé découvrira un cahier dans lequel son père avait consigné, en 1806, six mois auparavant, les souvenirs d’un voyage de cinq ans au Sénégal. Un voyage, on le comprendra, dont il n’est jamais vraiment revenu.
À 23 ans, rêvant d’intégrer l’Académie royale des sciences de Paris, le jeune botaniste s’était embarqué à son propre compte pour l’étranger, chose plutôt rare pour l’époque. C’est un homme ouvert d’esprit qui débarque en Afrique en 1748.
Pour lui, les monuments historiques du Sénégal « se trouvent dans leurs récits, leurs bons mots, leurs contes, transmis d’une génération à l’autre par leurs historiens-chanteurs, les griots ». À ses yeux aussi, le wolof, qu’il apprend, vaut bien le français. C’est une langue, écrit-il, dans laquelle ils « entassent tous les trésors de leur humanité : leur croyance dans l’hospitalité, la fraternité, leurs poésies, leur histoire, leur connaissance des plantes, leurs proverbes et leur philosophie du monde ».
Sur un coup de tête, il avait décidé de partir à la recherche d’une femme qui serait revenue des Amériques après trois ans d’esclavage. Il va retrouver sa trace près de l’île de Gorée, l’une des plaques tournantes de la traite des esclaves pendant trois siècles. Accompagné du fils adolescent d’un chef local et d’un petit équipage, il va partir à la recherche de cette femme, sous prétexte de décompter les plantes, les arbres, les coquillages, les animaux terrestres et marins pour en faire la description.
Maram, il va le découvrir, a été vendue pour un fusil par un oncle libidineux qui avait essayé de la violer. Séduit par sa grande beauté, par les connaissances botaniques et les talents de guérisseuse de cette « Ève noire », le jeune botaniste tombe amoureux sur le champ de la fugitive. De son côté, elle verra en lui un Européen — et un homme — différent des autres.
Avec La porte du voyage sans retour, David Diop semble s’est librement inspiré du véritable Michel Adanson (1727-1806), célèbre naturaliste français — auteur d’un mémoire important sur le baobab, il aurait également « découvert » la gomme arabique, l’indigo, les palétuviers et le palmier à huile.
Après Frère d’âme (Seuil, 2018), dans lequel un soldat noir racontait les tranchées franco-allemandes de la guerre de 14-18, l’écrivain franco-sénégalais, spécialiste du XVIIIe siècle et professeur d’université à Pau, né à Paris en 1966 mais ayant passé une partie de sa jeunesse au Sénégal, envoie cette fois un Français en sol africain.
Sans manichéisme, sans escamoter non plus le rôle joué par certains rois wolofs dans le trafic d’esclaves, il place cet homme des Lumières, écartelé entre cet amour impossible et son désir d’accéder à l’institution, devant l’esclavagisme et l’écrasante domination de l’homme — sur les femmes autant que sur la nature.
S’il est difficile de croire à cette passion aussi dévorante que platonique, mal servie entre autres par une narration un peu froide, le roman de David Diop a d’autres mérites. Surtout lorsqu’il célèbre l’ouverture d’esprit et la rencontre.
