M’entends-tu, Simon?

C’est un difficile défi que s’est imposé l’auteur de bandes dessinées Simon Labelle pour l’élaboration de Ma vie en lo-fi, une bédé qui paraîtra le 8 septembre prochain chez Mécanique générale : raconter sa vie avec un handicap sonore. Rien de moins ! Commençons donc en disant qu’il a du dessin dans le bras, Simon Labelle. En plus d’avoir déjà publié trois bandes dessinées, dont Le suicide de la déesse qui lui a valu le prix Bédélys Québec en 2010, il est aussi illustrateur et auteur de science-fiction.
Fort de tout ce bagage, il a décidé de raconter, dans de courtes vignettes s’étalant sur une page ou deux, son quotidien de personne vivant avec une surdité partielle dégénérative, une perte d’acuité dans les hautes fréquences, acouphène en prime. Ce problème affecte aussi la perception des consonnes, élément assez primordial pour être compris en français. Sans les consonnes, le français sonne comme un genre de bouillie molle.

Bref, tout pour doucement empoisonner l’idée même de la communication. On peut entrer en contact avec les autres, malgré tout, mais c’est beaucoup plus difficile et, surtout, très frustrant. Et c’est ce que réussit à joliment bien raconter l’auteur : toutes les petites et grandes frustrations qui viennent avec cet état. Qu’il s’agisse de ces fameux appareils qui amplifient tous les sons ambiants au point où ceux-ci enterrent les conversations dans les lieux publics ou de cette façon de sourire un peu bêtement pour faire semblant qu’on est en mesure de suivre une conversation, on retrouve ici, tout simplement racontés et illustrés, les moments de malaise qu’ils suscitent.
Pour ce qui est du dessin, Labelle a opté pour une forme de sobriété qui sied bien au propos. Tout en tons de gris (belle et simple façon de nous faire comprendre que le monde peut sembler grisâtre lorsqu’un sens nous fait défaut), le trait est quand même réaliste et tout en souplesse, alors que les vignettes sont présentées sans cases. Idem pour le découpage, qui a la qualité d’être aussi simple qu’il est efficace.
Toutefois, ce qui rend le récit vraiment intéressant, c’est l’humour subtil teinté d’une bonne dose d’autodérision dont l’auteur fait usage. Pas d’apitoiement (il en aurait le droit) et pas de grandes envolées sur la place des gens vivant avec un handicap. Remarquez qu’on aurait été mal placé de lui reprocher d’utiliser ce ton, mais cela aurait probablement créé des tensions qui auraient brisé le rythme. De prime abord, cela ne semblait pas faire partie de l’intention originale. On est loin du cri du cœur ici.
Le seul bémol, je dirais, concerne la dernière vignette. Pas qu’elle ne fonctionne pas avec le propos ; au contraire, on reste dans le ton. C’est seulement qu’on a l’impression qu’elle arrive comme un point final en plein milieu d’une phrase. Peut-être est-ce le signe qu’on s’attache à ce Simon en version bédé ? Finalement, le défi, pas si évident, est bien relevé. Parce que c’est sobre et que cela fait sourire, mais surtout parce qu’on a l’impression que Simon Labelle a su nous raconter un pan de sa vie, simplement, et répondre à toutes les questions qu’on n’oserait probablement pas poser en personne.
Souvenir retrouvé

Dans Suzette ou le grand amour, l’auteur français Fabien Toulmé (j’avais beaucoup aimé son Odyssée d’Hakim paru en 2018) s’attaque à un sujet beaucoup plus doux : peut-on essayer de retrouver son grand amour perdu il y a plus de 60 ans ? C’est ici le cas de Suzette, qui vient de perdre son mari et qui décide de tenter le coup avec sa petite-fille, elle-même en plein cœur d’une remise en question amoureuse. Pas d’éclat, ici, juste une belle histoire, bien racontée, qui fait chaud à l’âme. Et on en a bien besoin !
Comme une série en rafale !

S’appuyant sur des histoires de meurtres racontées à la radio en France par le présentateur Christophe Hondelatte, Tu ne tueras point (adapté par Jean-Louis Tripp et dessiné par Cyrile Doisneau) se lit avec le même genre de plaisir coupable que l’on a à regarder tous ces documentaires sordides, généralement en rafale, comme on mange des chips. Difficile de reposer le livre lorsqu’on l’a commencé ! On ne réinvente rien, mais on fait bien les choses.
La disparition (de masse)

Dans Extinctions. Le crépuscule des espèces, l’océanologue Jean-Baptiste de Panafieu (Darwin à la plage) et le dessinateur Alexandre Franc racontent l’histoire d’une journaliste et de son caméraman qui suivent, pendant deux mois, le travail de biologistes sur une île de l’océan Arctique. Si l’aspect scientifique semble implacable, il est malheureusement un peu trop imposé dans ce documentaire qui ne semble pas vouloir l’être.
La baleine et le facteur

Avec La baleine bibliothèque, le scénariste Zidrou et la dessinatrice Judith Vanistendael nous offrent un récit hybride, à mi-chemin entre la bédé et le conte pour enfants. C’est la belle histoire d’un postier maritime et d’une baleine qui porte en son ventre rien de moins qu’une bibliothèque. C’est touchant, mais un tout petit peu forcé, alors que l’on sent, parfois, peut-être un peu trop la volonté de servir de référence morale. N’est pas le Petit Prince qui veut ! Mais ça vaut quand même le détour, ne serait-ce que pour les magnifiques illustrations et l’étrangeté de cette histoire qui devrait plaire à tous.
