«Prismacolor no 325»: vie de quartier

Sur la jaquette de Prismacolor no 325, de Lyne Richard, peintre, poète, nouvelliste et romancière, apparaît le mot « nouvelles ». Et pourtant, plus on plonge dans ce recueil de brèves nouvelles, plus on déambule en compagnie de différents narrateurs dans le quartier Saint-Sauveur, et plus on a l’impression de se retrouver dans une chronique impressionniste ou un roman choral fragmenté.
De fait, il y a une telle unité de ton qui rassemble tous les récits et une telle mélancolie qui émane d’une histoire à l’autre que les personnages, sexes, statuts sociaux et générations confondus, paraissent former une grande famille élargie.

Cet esprit de quartier qui règne dans Prismacolor no 325 sera amplifié par l’apparition de personnages récurrents. Tel le petit Mathias, qui, avec son père Francis, met sur pied une librairie à la mémoire de sa mère Justine (« La petite librairie gratuite »). La librairie Chez Justine deviendra pour ainsi dire le cœur battant du recueil et du quartier.
Amélia, narratrice de la première nouvelle (« Prismacolor no 325 »), celle qui survit au suicide de sa mère (« J’ai opposé à ses blessures un regard plein de désirs ardents, une envie de vivre qui rugit à n’en plus finir »), s’y rendra et apportera ainsi une touche fantastique au récit.
Dans « L’odeur des roses », ce sera au tour d’Anna, victime de violence conjugale, de trouver réconfort auprès de Mathias et de ses rescapés de la vie. « Le livre a un pouvoir de consolation. Je l’ai compris récemment quand Mathias m’a ordonné d’en lire quelques-uns », lui confiera Horace, ancien psychologue.
Plus loin, la narratrice de « Bois de santal, musc et patchouli » lit un livre emprunté à Mathias au moment d’apercevoir l’amour de sa jeunesse… celui qu’elle a rencontré à 12 ans, quelque 50 ans plus tôt, dans « Sur les chansons de Dalida ».
Certes, il y a des histoires d’amour et de désir, entre gens âgés (« Un amour aussi nu » et « La boue aura un goût de fruits ») ou entre amis (« Un autre cœur »), mais il y a surtout des histoires de mort. Avec du sang. Beaucoup de sang. D’où l’omniprésence du rouge. Et pas n’importe lequel, le Prismacolor no 325, « la plus belle couleur parce que c’était la couleur du sang », confiera Amélia, qui n’a pas peur du sang, à Mathias.
Revisitant ses thèmes de prédilection, Lyne Richard raconte le désarroi et la perte d’innocence d’enfants mal aimés par leur mère : « La mienne, quand le médecin a sectionné notre cordon, elle a laissé tomber l’amour en même temps dans le bac stérilisé » (« Des étreintes d’oiseaux »). Dépressives, suicidaires, meurtrières, les figures maternelles qui hantent les pages du recueil jettent un voile sombre au-dessus de Saint-Sauveur, quartier de tous les malheurs.
Les drames familiaux s’accumulent tant et si bien qu’ils finissent par se ressembler, par devenir le pâle écho des précédents. Dans la dernière nouvelle, l’autrice abandonne tout de même ses personnages sur une note d’espoir alors qu’Ève, peintre, rappelle au jeune Mathias que « le rouge, c’est la vie ».