Le guide du mari idéal

Sois belle, souris, cuisine, fais le ménage, calme les enfants, écoute et aime ton mari. Pendant des décennies, plusieurs manuels ont dicté aux femmes la bonne conduite à avoir pour devenir l’épouse parfaite. Un collectif d’auteurs a voulu se prêter à l’exercice inverse en imaginant comment devrait se comporter le mari idéal.
Dans Ce qu’un jeune mari devrait savoir, publié aux éditions Marchand de feuilles cette semaine, 18 auteurs se sont prêtés au jeu de partager leurs réflexions sur le rôle d’un mari. Parmi eux, on retrouve entre autres Martine Delvaux, Patrick Watson, Stella Adjokê, Lili Boisvert, Véronique Grenier, Léa Stréliski, ou encore Simon Boulerice.

À travers ces quelque 200 pages, ils offrent des conseils sur comment ne jamais tenir son épouse pour acquise, lui donner de l’espace, la respecter, l’écouter, lui donner du plaisir sexuellement, partager sa charge mentale ou encore bien s’entendre avec ses amies. Ils poussent aussi, et surtout, la réflexion plus loin en se questionnant sur cette union qu’est le mariage, en déconstruisant des stéréotypes vieux comme le monde et en partageant leur vision d’une relation idéale.
« Je pense que les gens vont avoir un a priori en voyant le titre du livre, mais ils seront surpris en le lisant. Le but, c’est vraiment de repenser le mariage et surtout nos perspectives sur le genre », indique l’éditrice Arizona O’Neil.
Ce livre, c’est son plus gros projet, explique la jeune femme de 26 ans. Elle raconte avoir choisi minutieusement les auteurs pour avoir une diversité de voix. « Je voulais qu’on y retrouve autant des femmes, des hommes, des personnes non binaires, des francophones, des anglophones, des personnes racisées. Ça apporte une diversité de points de vue intéressante et nécessaire. »
Prenant la forme de courts essais, de poèmes ou encore de textes littéraires, les textes du livre proposent un guide qui sort de l’ordinaire. D’une page à l’autre, les réflexions s’enchaînent, se croisent et parfois s’opposent, mêlant ironie, espoir, douleur, compassion, envie et mélancolie.
Éviter la moralisation
« Je voulais surtout que chacun s’amuse avec le concept, insiste Arizona O’Neil. J’ai lu plusieurs de ces guides qu’on donnait aux femmes, j’ai trouvé ça vraiment plate et révoltant. Je voulais inverser les rôles sans que ça devienne un livre où des femmes critiquent et donnent des ordres aux hommes. »
Un mandat qui a intrigué les auteurs bien qu’il n’ait rien de facile de prime abord à en croire Martine Delvaux et Véronique Grenier, avec qui Le Devoir s’est entretenu.
« Au début, je me suis demandé : mais qu’est-ce que j’ai bien à dire là-dessus ? J’ai une allergie au mot mari, ça me donne de l’urticaire. Finalement, en laissant aller les idées, j’ai réalisé que j’avais beaucoup à dire », confie Martine Delvaux.
Elle a souhaité pour sa part réfléchir à ce que représente le mariage, en se replongeant dans ses plus lointains souvenirs. « Le piège, c’est de donner l’impression que je m’adresse aux jeunes maris, mais je m’adresse à tout le monde. C’est une voix qui questionne ce qu’est le mariage avec une remise en question de l’hétérocentrisme », explique celle qui a elle-même déjà goûté au mariage, mais aussi au divorce.
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Le reste de la série «Coup d'essai»L’autrice Véronique Grenier a davantage pris au pied de la lettre la commande, en offrant des conseils précis et qui se veulent « bienveillants » à tous les jeunes maris… mais aussi à leur épouse par la bande. « Les propos tenus ici le sont dans l’idée que la personne qui est liée au mari idéal suit les mêmes conseils. La relation idéale a beaucoup à voir avec la réciprocité… », écrit-elle d’emblée dans son texte.
« En filigrane, j’ai surtout voulu aborder comment éviter des blessures à l’autre dans un couple. Comment se responsabiliser dans nos comportements et réfléchir à sa contribution dans la relation », note-t-elle en entrevue. Elle précise avoir été elle aussi influencée par sa propre histoire, s’étant mariée, puis séparée.
« Vent de féminisme »
« Le plus intéressant dans l’exercice, c’est le geste féministe de renverser la vapeur en s’attardant pour une fois à l’époux », juge Martine Delvaux. Et force est de constater, dit-elle, que ce « vent de féminisme » se retrouve dans chaque contribution des membres du collectif.
« L’exercice est ironique, parodique, ludique, mais on en ressort avec des réflexions politiques, branchées sur les questions actuelles qu’on se pose en société », analyse-t-elle. Une trame de fond qui est le résultat de longues années de luttes féministes, d’un ras-le-bol de la domination sexuelle, des rapports de sexes inégaux et de la charge mentale, selon elle.
Plusieurs textes de l’ouvrage évoquent d’ailleurs de près ou de loin les vagues de dénonciations qui ont secoué le Québec ces dernières années. « #MoiAussi, beaucoup disaient que c’est un mouvement qui ne durerait pas, que la poussière retomberait et qu’on n’en parlerait plus, note Martine Delvaux. Finalement, le temps passe, les vagues de dénonciations s’enchaînent. Ça a eu un tel impact sur nous tous, autant dans nos vies, nos réflexions que dans notre écriture. Ce livre en témoigne. »