Nos écrivains et leurs librairies préférées

Une des librairies chouchous, à Montréal, de Simon Boulerice, est celle qui jouxte son quartier: la Librairie de Verdun.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Une des librairies chouchous, à Montréal, de Simon Boulerice, est celle qui jouxte son quartier: la Librairie de Verdun.

En 2020, les ventes de livres bondissaient le 12 août de 599 % par rapport à une journée dite normale, selon les données de la Société de gestion de la banque de titres de langue française (BTLF). Lancé en 2014, l’événement « Le 12 août, j’achète un livre québécois » fait non seulement tintinnabuler les tiroirs-caisses, mais il aura aussi contribué à souder le lien entre lecteurs et libraires. En prévision de cette fête de la littérature québécoise, cinq écrivains racontent leur attachement pour leur librairie préférée.



La librairie de quartier de Dominique Fortier

 

« Notre librairie, à ma fille et moi, c’est la Librairie du Square, avenue Bernard à Outremont, tout près de la maison. C’est là qu’elle achète ses Mortelle Adèle, et que Jonathan me conseille des titres que, souvent, je n’aurais jamais songé à lire toute seule. C’est une vraie librairie de quartier, où chaque livre semble avoir été personnellement soupesé et choisi, où une enseignante, à la fin de la dernière année scolaire, est venue chercher trente ouvrages pour les trente enfants de sa classe. Quand j’y suis entrée avec Zoé cet hiver, Jonathan nous a accueillies avec un retentissant : “Quelle joie de voir une grande écrivaine !” Ce n’est pas à moi qu’il s’adressait, bien sûr, mais à elle, en lui montrant l’album auquel elle avait collaboré et qu’elle découvrait pour la toute première fois dans une librairie, trônant sur la cimaise aux côtés des livres de ses idoles Marianne Dubuc et Élise Gravel [avec sa fille Zoé, Dominique Fortier a coécrit Violette et Fenouil, aux Éditions de la Bagnole]. Il faut beaucoup de monde pour véritablement faire un écrivain : un éditeur et un lecteur, bien sûr, mais aussi un libraire, maillon vital et nécessaire entre les deux, sans lequel la chaîne se brise. »

Ses suggestions pour le 12 août : Le roitelet de Jean-François Beauchemin et Chasse à l’homme de Sophie Létourneau.

La libraire psychologue de Roxanne Bouchard

 

« Dans mon dernier roman [Le murmure des hakapiks, Libre expression], j’avais besoin que mon enquêteur, Moralès, traîne de la patte. Ça adonnait bien : il était en peine d’amour. Pour le faire sombrer un peu, j’ai décidé de lui faire lire un roman trop lourd pour lui. Mais où allait-il trouver ledit bouquin ? Au café, ce matin-là, Moralès croise les habituels pêcheurs de homard de la baie des Chaleurs. Remarquant que l’enquêteur ne porte plus son alliance, un marin lui dit d’aller à la librairie de New Richmond, car “les bons libraires, c’est comme des psychologues”. Moralès s’y rend donc et y entre, intimidé. Là, la dynamique Mélanie l’interpelle. Cheveux courts noirs, sourire formidable et regard vif, elle séduit l’enquêteur. Ce n’est pas elle qui lui propose le livre qu’il va s’entêter à acheter. Elle lui refile plutôt Aimez-moi, du poète Yves Boisvert, et ajoute une carte de fidélité. Moralès, les pêcheurs et la rencontre sont fictifs. Mais la librairie Liber existe vraiment, et la charmante libraire s’appelle Mélanie Langlois. »

Sa suggestion pour le 12 août : Les Chaouins d’Yves Boisvert. 

Simon Boulerice, cerné de bouquins

 

« Depuis une dizaine d’années, j’ai l’occasion de visiter des librairies partout à travers le Québec. Cerné de bouquins, je me sens toujours à la maison, mais, parfois, ce sentiment est décuplé par l’atmosphère qui y règne et par la ferveur de ses libraires. L’Exèdre, à Trois-Rivières, de par l’âme du lieu et la présence lumineuse de la libraire copropriétaire Audrey Martel, est parmi mes librairies favorites, bien qu’un peu loin de chez moi. Une de mes librairies chouchous à Montréal est celle qui jouxte mon quartier : la Librairie de Verdun. En dix ans, j’y ai fait plusieurs lancements, et cette routine va perdurer, car mon 60e livre y sera lancé [Papier bulle, un roman graphique illustré par Eve Patenaude, paraît fin août chez XYZ]. C’est un endroit spacieux et chaleureux où le livre est célébré, à la fois éclairé et défendu par des libraires passionnés. Je pense notamment à Billy Robinson qui m’a souvent proposé des lectures déterminantes. Une librairie indépendante à laquelle je rattache de beaux souvenirs, notamment le jour où j’ai animé une rencontre avec Janette Bertrand. La revoir quitter la place, ravie, avec mon roman Javotte sous le bras en me faisant un clin d’œil, ça ne s’oublie pas. »

Sa suggestion pour le 12 août : Filibuste de Frédérique Côté.

Caroline Dawson, le cœur et la tête en fête

 

« Y entrer est une fête, on y trouve des libraires qui sont des personnes non seulement intelligentes, sensibles et engagées, mais aussi dévouées. Durant la pandémie, lorsque les services postaux battaient de l’aile, elles poussèrent littéralement l’épaule à la roue pour parcourir les rues de Montréal à vélo afin de livrer les commandes le plus rapidement possible. C’est que ce n’est pas qu’une librairie, c’est une coopérative solidaire sans but lucratif. L’Euguélionne [au centre-ville de Montréal] présente une collection de livres féministes, LGBTQ, des zines, des ateliers et, chaque fois, elle fait tout en son pouvoir pour sortir des sentiers battus et faire briller des œuvres plus rares. Ce n’est pas un hasard si elle tiendra un atelier gratuit sur la littérature autochtone lors du prochain Festival de littérature jeunesse de Montréal. Chaque fois que je paye mes achats, on m’annonce le rabais auquel j’ai droit comme membre de la coop et comme toujours, je le refuse en faisant ma petite blague : non, je le garde, ce sera l’héritage de mes enfants. On rit, mais je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est pas si faux. L’Euguélionne, c’est ce qu’elle fait, créer de l’avenir et de la communauté. »

Sa suggestion pour le 12 août : Coco | Sissi de Nathalie Doummar.

Marie-Renée Lavoie, chez Morency comme chez une vieille tante

 

« Quand j’ai mal quelque part, au corps, à l’âme, au cœur, ou quand je vais trop bien pour faire des choses plates, comme du ménage (ce qui n’arrive pas que le 12 août), je marche jusqu’à la librairie Morency, déracinée récemment du centre d’achats et replantée avec bonheur sur la 3e Avenue à Limoilou (Dédé Fortin aurait apprécié), la toute belle, féérique de bigarrure. En atterrissant là, elle s’est transformée en appartement chaleureux tapissé de livres, avec son petit escalier qui débouche sur le trottoir et nous invite à monter. J’y entre comme chez une vieille tante, avec mon chien (”Laisse-le pas dehors, voyons !”). C’est bien pensé, il n’y a rien d’autre à manger que des mots, pas de jujubes nulle part ni de stylos licornes à mâchouiller. Donald ou Monika sont là, les yeux bordés de rides enthousiastes, la tête farcie de belles suggestions en attente, la main prête à se tendre vers un onguent en pages. Un, deux ou dix… Bref, je guéris toujours, de mes maux ou de mes ennuis. La fois où je suis repartie avec Là où je me terre, de Caroline Dawson, j’ai soigné pour de bon mon dédain du ménage et compris, mieux que jamais, à quel point j’étais bien née. Les belles œuvres transforment, forcément. »

Sa suggestion pour le 12 août : Là où je me terre, de Caroline Dawson.

Du jamais vu en librairies, malgré (ou grâce à) la pandémie

« Ça fait vingt ans que je travaille à l’ALQ et je n’ai jamais vu ça », confie la directrice générale de l’Association des libraires du Québec, Katherine Fafard. Jamais vu quoi ? Autant d’effervescence autour du livre québécois, se traduisant en de nombreuses ouvertures. Entre février 2020 et septembre 2021, pas moins de dix nouvelles librairies sont apparues au Québec. Et si le commerce au détail a vécu durement les contrecoups de la pandémie, seulement cinq librairies ont mis la clé sous le tapis en 2020 (dont une librairie religieuse, une librairie scientifique et médicale, la succursale d’une librairie de voyages et la succursale annexée au Clap de la bannière Pantoute). Selon leBilan Gaspard 2020 de la BTLF, les ventes au détail en librairies indépendantes ont bondi de 18,3 % en 2020 par rapport à 2019.

« Les librairies se distinguent de plus en plus par leur inventaire personnalisé ou spécialisé. Les librairies vont sélectionner des livres en fonction de leur clientèle et de leur quartier, qu’elles connaissent bien », explique Mme Fafard, en évoquant notamment la Librairie Racines sur la Plaza Saint-Hubert, qui célèbre la richesse des voix de la diversité, Le Renard perché dans Hochelaga-Maisonneuve, où la littérature jeunesse est à l’honneur, et la librairie Saga dans Notre-Dame-de-Grâce, petit paradis des littératures de genre. « Je me demande s’il n’y aura pas une saturation à Montréal », où sept de ces dix nouvelles adresses ont poussé, « mais il y a encore de la place ailleurs au Québec ». Une succursale Nath & Compagnie doit bientôt être inaugurée à Percé, tout comme la librairie Flottille, aux Îles-de-la-Madeleine.

La fermeture des restaurants, des cinémas et des théâtres y aura sans doute contribué, mais cette ruée vers les librairies est aussi le fruit d’un long travail de promotion du livre québécois. « Les libraires me disent que le 12 août a eu pour effet que les clients poussent la porte et demandent un livre québécois durant toute l’année », dit Katherine Fafard. Toujours selon le Bilan Gaspard 2020, 52,6 % des ventes en librairies étaient des titres publiés par des éditeurs canadiens (majoritairement québécois).

« Côté chiffres, il n’y a pas d’ambiguïté. La littérature québécoise, c’est la locomotive chez nous », dit David Lessard-Gagnon, de la librairie Appalaches de Sherbrooke, née rue Wellington Nord en octobre dernier. « On agrandit constamment le rayon littérature québécoise, parce que c’est ce que les gens cherchent, même en bédé et en essais. Il y a un grand désir de penser le contemporain à partir d’ici. »

Et cette bulle pourrait-elle exploser ? Entre 2007 et 2014, près d’une quarantaine de librairies avaient plié boutique, souvent faute de relève. Un sondage maison mené par l’ALQ révélait qu’une trentaine de propriétaires entendent tendre le flambeau d’ici cinq ans, un processus dans lequel ils seront cette fois-ci mieux accompagnés par l’organisme, promet-on. Il y a quelques mois, l’association invitait ses 140 membres à faire preuve de prudence. « On leur a dit : “Attention, quand les restos vont rouvrir, les gens vont faire autre chose.” Mais pour l’instant, les ventes se maintiennent, se réjouit Katherine Fafard. On pense que la pandémie a permis à beaucoup de gens de renouer avec le plaisir de lire. On est allés récupérer des lecteurs qu’on avait perdus. »

 



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