Dany Laferrière plonge dans la question du racisme

Le racisme aux États-Unis, où Dany Laferrière (photo) a vécu 15 ans, a justifié l’esclavage. C’est ce qui a assis et alimenté l’exploitation économique d’hommes et de femmes par d’autres. C’est ce qui a installé la violence raciale qui persiste aujourd’hui.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Le racisme aux États-Unis, où Dany Laferrière (photo) a vécu 15 ans, a justifié l’esclavage. C’est ce qui a assis et alimenté l’exploitation économique d’hommes et de femmes par d’autres. C’est ce qui a installé la violence raciale qui persiste aujourd’hui.

Lorsqu’un Noir entre dans une pièce pleine de Blancs, qu’il soità Moscou, à Berlin ou à Washington, il sait que tous les regards sont tournés vers lui, dit Dany Laferrière, dont le dernier essai, Petit traité sur le racisme, paru chez Boréal, sera en librairie mardi.

Or, selon lui, il faut précisément « arrêter de regarder le racisme du point de vue du Blanc », dit-il en entrevue.

Sur ce ton intime qu’il aime créer avec son lecteur, Laferrière plonge dans la question du racisme en se concentrant sur celui qui sévit aux États-Unis. Il le fait à travers une centaine de petits textes, presque des vignettes, qui décrivent des situations, qui livrent des pans d’histoire, qui esquissent le portrait de personnages, des femmes surtout, qu’il admire, l’écrivaine Maya Angelou, « l’oiseau hors de sa cage », comme il l’appelle, Toni Morrison, Prix Nobel de littérature, Bessie Smith, « la plus grande chanteuse de blues du monde », comme l’a fait inscrire sur sa tombe Janis Joplin, mais aussi Harriet Tubman, qui a fait dix-neuf voyages pour aider des esclaves fugitifs à s’enfuir, avant de s’éteindre en 1913.

Il dit qu’il écrit pour les jeunes lecteurs, ceux qui grandissent dans les échos du mouvement Black Lives Matter. Ce sont des esprits généralement ouverts, dit-il, et « débordants de candeur », même s’ils peuvent parfois mal comprendre la société dans laquelle ils évoluent. « C’est vrai que la jeunesse est une obsession chez moi, entre 14 et 25 ans, précise-t-il. J’ai une certaine affinité avec eux. J’aime discuter avec eux. Ils ont des idées traversées par des fulgurances qui tiennent de leur nature poétique. Ils sont butés, mais capables par une sorte de sursaut de retrouver l’autre sur un terrain commun. Précisément parce qu’ils ne cherchent pas à le faire de façon volontaire. Je crois qu’ils sont sensibles à la poésie et aux textes brefs mais rythmés, et c’est pour eux que j’ai fait un livre qui s’ouvre comme un ciel d’été. »

C’est pour ces jeunes, donc, qu’il écrit ce livre, pour qu’ils arrivent à inscrire l’actualité dans un récit, celui de la longue lutte des Noirs américains pour la conquête de leurs droits.

« Il y a une histoire qu’il fallait rappeler légèrement, car les jeunes gens ont d’autres chats à fouetter. Ils ne vont pas m’écouter trop longtemps. D’où ces petites vignettes qui poussent à la réflexion », dit-il.

Le racisme aux États-Unis, où Dany Laferrière a vécu 15 ans, a justifié l’esclavage. C’est ce qui a assis etalimenté l’exploitation économique d’hommes et de femmes par d’autres. C’est ce qui a installé la violence raciale qui persiste aujourd’hui. « On veut faire croire que c’est une vérité profonde que cette supériorité d’un individu sur un autre, d’un Blanc sur un Noir. On crée une tension jusqu’à imposer ce sentiment d’infériorité chez le Noir. » C’est ce qui l’oblige à préciser aujourd’hui, en faisant référence au décès de George Floyd : « Quand une femme dit “non”, vous devez arrêter. Quand un Noir dit “j’étouffe”, vous devez arrêter aussi. »

Dans ces États-Unis qui sont nos voisins, « presque un mort par jour » est la victime du racisme. Et il rappelle que Donald Trump a rallié, encore tout récemment, les voix de 80 millions d’Américains. Ces « ombres grimaçantes » qui planent sur les États-Unis, elles sont encore le nerf de la guerre, dit-il, cette guerre contre le racisme et l’exploitation qui n’est jamais finie, même un siècle et demi après la guerre de Sécession.

La case de l’oncle Tom

Il remonte même jusqu’à Harriet Beecher Stowe, l’écrivaine blanche qui a écrit La case de l’oncle Tom, qui a notamment soulevé la conscience des Blancs du Nord contre l’esclavage qui sévissait dans les États du Sud, en 1852. Fille d’un pasteur presbytérien, elle était « féministe, humaniste etabolitionniste », écrit Laferrière. « Lorsqu’Abraham Lincoln rencontra pour la première fois Harriet Beecher Stowe, il lui dit : “C’est vous, la petite dame, qui êtes à l’origine de cette grande guerre.” »

Depuis, le mouvement noir américain a rejeté ce roman qui mettait en scène un vieil esclave noir débordant de tendresse, pour les Noirs comme pour les Blancs. Au cours des années 1960, les Noirs américains ont décidé que l’oncle Tom ne pouvait plus les représenter, « parce qu’il ne voyait pas la couleur, il aimait les gens, les petits Noirs comme les petits Blancs, les enfants du maître. Il ne fait aucune différence », dit-il en entrevue. « J’ai simplement voulu évoquer légèrement ce livre en le remettant dans son contexte. Rappeler à ceux qui vénèrent Lincoln et qui méprisent L’oncle Tom que Lincoln a rendu hommage à son auteur, ajoute-t-il. Harriet Beecher Stowe ne pouvait pas parler comme quelqu’un de 1960. »

Quand une femme dit “non”, vous devez arrêter. Quand un Noir dit “j’étouffe”, vous devez arrêter aussi.

 

L’apport des Blancs au mouvement de libération des Noirs est d’ailleurs pour lui incontournable. « Sans l’appui des Blancs, Obama ne serait jamais devenu président », dit-il. Pour lui, la présidence d’Obama n’a d’ailleurs pas pu avoir de réelle incidence sur le racisme qui sévit tous les jours aux États-Unis. « Obama a passé tout son temps à esquiver les mauvais coups. On l’a mis dans cette condition. On le met dans une situation où il passe son temps à se défendre contre le racisme et à répondre à des questions sur le racisme », dit-il.

C’est donc par petites touches que Laferrière détaille la bête aux mille têtes qu’est le racisme, sans jamais en faire une affaire personnelle, cette bête qui est abordée la plupart du temps, dans les médias par exemple, par des journalistes blancs.

« Le premier problème quand on publie un livre sur le racisme en Amérique du Nord, c’est que 90 % des journalistes qui commenteront le livre sont de l’autre côté. Je ne dis aucunement qu’ils sont racistes, mais on doit reconnaître que c’est une situation paradoxale », dit-il.

Ce livre s’inscrit dans la foulée de toute son œuvre, qu’il désigne sous le titre global d’Autobiographie américaine, dit-il. « Pour ma part, ce dernier livre Petit traité sur le racisme se situe dans le groupe de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, de Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit, et Chronique de la dérive douce où j’ai abondamment parlé de ce rapport Blanc/Noir en Amérique du Nord, où les États-Unis sont lourdement privilégiés. Donc, ce n’est pas une première dans mon travail d’écrivain. »

À voir en vidéo



 


Une version précédente de ce texte qui indiquait que le livre La case de l’oncle Tom a été publié en 1952 a été corrigée.

Petit traité sur le racisme

Dany Laferrière, Éditions du Boréal, Montréal, 2021, 213 pages