Michel Jean est un écrivain innu

« Michel Jean est un écrivain et un journaliste innu de la communauté de Mashteuiatsh. » La première phrase de la notice biographique énumère des informations avec lesquelles de nombreux lecteurs québécois sont désormais familiers. Écrivain, Michel Jean l’est depuis près d’une quinzaine d’années, journaliste, depuis trois décennies et demie et Innu, depuis sa naissance en 1960. Ce dernier mot — innu — n’a pourtant pas toujours figuré en quatrième de couverture de ses livres. Mais aujourd’hui, plus question de l’enlever.
« L’élément qui m’a convaincu, raconte-t-il au bout du fil, c’est une amie qui m’a envoyé la photo d’une bibliothèque d’école à Pessamit. La bibliothécaire avait pris mes livres et elle les avait mis dans une armoire en bois sur laquelle elle avait écrit “Michel Jean, auteur innu”. C’est simple, mais ça permet aux jeunes à Pessamit de savoir qu’ils ont eux aussi le droit d’en écrire, des livres. »
Sens du devoir, donc, comprend-on. Mais c’est aussi parce que le Québec a changé pour le mieux au cours des dix dernières années, dit le chef d’antenne de TVA, qu’il met maintenant aussi fièrement en exergue son identité et sa culture. Célébrer son autochtonie a longtemps été (et l’est encore sans doute à plusieurs égards) un geste que l’on posait à ses risques et périls, avec la conscience de l’indifférence, voire de l’hostilité, qui pourrait l’accompagner.
Surpasser la honte
« Dans une salle de nouvelles, la phrase “Michel, les histoires d’Indiens, ça intéresse personne”, je l’ai entendue des dizaines de fois. Dans toutes les salles de nouvelles où j’ai travaillé. » Petite pause. « Moi, je voulais la paix, alors ce n’était pas quelque chose dont je parlais naturellement. C’était quelque chose qu’on gardait pour nous. »

Exemple à la fois loufoque et désolant des petites humiliations vécues par tant d’Autochtones, mais aussi de la représentation caricaturale à laquelle ils étaient jadis confinés : dans Atuk, elle et nous (titre de la récente réédition révisée de son roman de 2012 Elle et nous), Michel Jean se rappelle s’être vu confier, en deuxième année du primaire à Sorel, dans une pièce de théâtre scolaire, le personnage d’un des tortionnaires iroquois de René Goupil, missionnaire jésuite qu’un coup de tomahawk propulsait au rang de saint martyr canadien. « Mon rôle consistait à me cacher derrière un arbre et à attaquer par-derrière le missionnaire en le frappant d’un coup de hache, puis à fuir », écrit-il.
« La professeure ne faisait pas ça méchamment, les gens ne s’en rendaient pas compte, précise-t-il en entrevue, sans amertume. Je n’en veux pas aux allochtones d’avoir eu ces comportements-là, c’est le Québec dans lequel ils ont grandi. Mais c’est sûr que ça faisait que quelque part, je me sentais honteux. »
C’est une cousine de sa mère, qu’il ne connaît alors pas vraiment, qui lui offre la clé de voûte de ce processus de réappropriation de son identité innue. Il a suffi d’une toute petite phrase. « Michel, l’Indien, tu l’as en toi », lui dit-elle lors des funérailles de sa grand-mère Jeannette, en soulignant le calme proprement innu avec lequel, à la télé, le journaliste couvre des événements parfois tendus.
Je dis souvent que j’écris simplement, mais les gens confondent écrire simplement et écriture simple. Quand t’as moins de mots dans un texte, il faut que chaque mot en dise plus.
Et pourtant, en 2012, lors de sa parution initiale, qui s’ouvre sur cette anecdote pas anecdotique du tout, Atuk, elle et nous portait le titre Elle et nous. Pas de «Atuk», le nom de famille de ses aïeuls Siméon, en innu-aimun. « Je me souviens que ma cousine France avait tenté de me convaincre de donner un nom autochtone au livre. Moi, je pensais que si je lui donnais un nom autochtone, des gens ne voudraient pas le lire, explique l’écrivain. Aujourd’hui, ça sert mieux le livre, mais en 2012, c’était pas ça. En dix ans, les gens ont beaucoup évolué. En 2012, on était avant le dépôt du rapport de la Commission de vérité et réconciliation, avant que le grand public connaisse l’histoire des pensionnats, avant les témoignages des femmes à Val-d’Or, avant la mort de Joyce Echaquan. »

Dans les mocassins des Autochtones
Autant d’événements tragiques ayant permis à de nombreux Québécois de mesurer toute la déshumanisante violence d’une histoire de spoliation et de préjugés. Une histoire dont ils avaient maintenant la responsabilité de rectifier la trajectoire. Première étape : tendre l’oreille à ce que l’autre a à dire, apprendre à le connaître. Paru en septembre 2019, Kukum, huitième livre de Michel Jean, aura servi cet objectif dans bien des cœurs et des foyers — plus de 72 000 exemplaires ont aujourd’hui trouvé preneurs, parmi lesquels le premier ministre François Legault et le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.
«Jamais j’essaie de faire sentir les gens coupables», insiste l’auteur au sujet de ce roman phénomène adoptant le point de vue de son arrière-grand-mère Almanda Siméon, orpheline d’immigrants irlandais qui épousera un Innu, sa culture ainsi que leur territoire, avant d’être contrainte à la sédentarité par un développement industriel de plus en plus musclé du Lac-Saint-Jean.
En trame de fond : les pensionnats où l’on entraîne de force les enfants et l’exploitation sauvage d’une forêt à transformer en dollars. « J’essaie de mettre les gens dans les mocassins des Autochtones : si tu avais été dans cette situation, comment tu aurais réagi, comment regarderais-tu l’histoire ? »
Une dystopie

Comment regarderais-tu l’histoire ? Avec des yeux méfiants face à quiconque incarne le pouvoir de l’État, constate-t-on en lisant Wapke, premier recueil de nouvelles d’anticipation autochtone publié au Québec. Celui-ci est dirigé par Michel Jean, qui a réuni autour du sien les textes d’une douzaine de camarades, dont Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill, Elisapie Isaac, Natasha Kanapé Fontaine, J.-D. Kurtness, Virginia Pésémapéo Bordeleau et Jean Sioui.
« Ça parle beaucoup de gouvernement autoritaire, d’État policier, de règles strictes », mais aussi de péril climatique, de système de santé inadéquat, de pénuries diverses. Autrement dit : la vie des communautés autochtones au Québec et au Canada ressemble souvent, déjà, à une dystopie, nul besoin de trop grossir le trait.
S’il investit pour la première fois ici des ambiances postapocalyptiques, Michel Jean est généralement l’artisan d’un réalisme minimaliste qu’il n’avait jamais maîtrisé avec autant d’économie de moyens que dans Kukum, dont les phrases courtes sont néanmoins chargées d’odeurs et de sensations.
Un style qu’il élague patiemment depuis la parution en 2008 d’Envoyé spécial, son premier vrai livre, imaginé à l’invitation de l’éditeur Martin Balthazar après la parution d’un guide de consommation dérivé de l’émission JE. Écrire des romans, c’était son rêve d’adolescent.
« Mes textes ne sont pas flamboyants, j’essaie qu’on ne remarque pas l’écriture. Quand on remarque l’écriture, c’est comme si on voyait les fils du marionnettiste : on sort du récit. Je dis souvent que j’écris simplement, mais les gens confondent écrire simplement et écriture simple. Écrire simplement, c’est beaucoup de travail. Quand t’as moins de mots dans un texte, il faut que chaque mot en dise plus. »