L’économie, face cachée de la violence faite aux femmes

La violence domestique a crû de 40 à 50 % dans le monde depuis le début de la pandémie. Mais la recrudescence de cette violence était déjà notable avant l’arrivée de la COVID-19. Ce phénomène, la militante féministe Silvia Federici l’attribue en premier lieu à des modifications des conditions socioéconomiques.

« Il y a une restructuration qui rend les conditions socioéconomiques précaires. Les revenus des hommes s’effondrent, et avec eux la sorte de pouvoir économique que ces derniers avaient. Les femmes ont davantage d’autonomie et n’acceptent plus de se subordonner à la famille et à la société », dit Mme Federici en entrevue, alors que paraît en français son essai Une guerre mondiale contre les femmes. Des chasses aux sorcières au féminicide, aux Éditions du remue-ménage.
Or, ces changements surviennent dans une société patriarcale, où le rôle des femmes a, traditionnellement, été soumis au pouvoir des hommes. « La violence domestique a été tolérée par les gouvernements, par la police. Il y a plein d’histoires où la police est intervenue dans un cas de violence conjugale simplement pour dire à l’homme de se calmer et d’aller fumer une cigarette », dit-elle.
Contrairement à ce que certains ont prédit, le déconfinement ne devrait pas mener, selon elle, à davantage de violence. « Il faut que les femmes puissent partir, qu’elles puissent aller dans un refuge ou quelque part où elles peuvent trouver la sécurité. Ça n’est pas facile parce que bien des endroits où elles pouvaient aller ont été fermés par la pandémie. Elles appellent à des endroits où les bureaux sont fermés », dit-elle. De plus, il n’est pas rare qu’une femme retourne s’enfermer dans la violence conjugale simplement parce qu’elle n’a pas assez d’argent pour vivre seule.
La violence accrue faite aux femmes ne se limite toutefois pas simplement à la violence domestique ou conjugale, selon la féministe.
« Il y a aussi plus de femmes migrantes, dit-elle. Jusque dans les années 1980, c’étaient seulement les hommes qui migraient. Maintenant, les femmes migrent, notamment de l’Amérique latine vers les États-Unis. Et elles s’exposent au viol, au vol et aussi à des conditions difficiles dans le pays d’arrivée. »
En Afrique et en Inde, les cas de chasse aux « sorcières », l’un des terrains de recherche de Mme Federici, se sont multipliés au cours des dernières décennies. « Dans bien des cas, le phénomène est lié à la terre, donc à la richesse », dit-elle.
D’ailleurs, Silvia Federici ne réclame pas seulement une équité des conditions entre les hommes et les femmes pour remédier au problème de la violence faite à ces dernières.
Changer de tarte
« Je ne veux pas seulement qu’elles aient une part égale de la tarte. Je veux changer de tarte », dit-elle. Dans cet essai, l’autrice de Par-delà les frontières du corps et du Capitalisme patriarcal avance que la montée du capitalisme a provoqué la chasse aux sorcières, depuis la fin du Moyen Âge, reléguant les femmes au travail domestique non rémunéré et permettant à l’État de contrôler leur pouvoir de reproduction.
« Ainsi, les chasses aux sorcières ont construit un système patriarcal spécifiquement capitaliste qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, même s’il n’a cessé d’être ajusté en fonction de la résistance des femmes et de l’évolution des besoins du marché du travail », écrit-elle.
Pour la féministe, les maîtres-mots d’une société moins violente envers les femmes sont solidarité et résistance. « Changer les conditions des femmes, c’est changer la société », dit-elle, plaidant pour une société inclusive qui ne serait pas basée, fondamentalement, sur l’exploitation du travail humain.