Incursions poétiques: «Baptême»

À l’occasion du Mois de la poésie, Le Devoir, avec la complicité du Bureau des affaires poétiques, donne à lire un poème chaque semaine. Premier de cinq.
« Allons voir de près ces personnages mythologiques, c’est pour l’enquête, faut pas lâcher, remontons la pente, avant, à leur naissance, avant que ne commence leur destinée, les premières minutes où quelqu’un n’est pas encore un héros. »
— Olivier Cadiot, Histoire de la littérature récente
Éveillées par le malheur,
les déesses distribuent les rôles :
jumeau maléfique,
madone de sel délaissée dans son jardin ;
le moment venu,
fleurs, pierres, opossums ivres
coudront nos paupières.
Les arbres et les bêtes
quitteront leurs enveloppes
toutes griffes dehors.
Qu’aurais-je pu imaginer
devant cette parade clinquante
autre que : C’est arrivé ?
*
Puisqu’on nous l’a ordonné,
nous prêtons le serment de discrétion ;
proche du trépas, à quoi
allons-nous ressembler ?
Tapis sous les couvertures, nous sommes
des armes dangereuses, un baiser
à retardement.
*
Je nous ai construit un sanctuaire
au fond d’un tunnel ;
l’enfant et sa boule de feu en sont les gardiens.
*
Qui bat des ailes ?
Je ne me suis métamorphosée qu’une fois ;
mon souffle était un bec, une épopée.
Quelqu’un avait dessiné ma carte du ciel,cela avait suffi à me couvrir d’une peau d’âne, avant que je n’accouche d’enfants qui n’étaient pas les miens.
*
Je sais, cela semble absurde, c’est une chose étrange ;
je leur ai donné naissance, ils portent des noms
d’éclairs, de nuages, chevaux qui posent leur tête
sur moi devenue une des leurs.
*
Un nid de serpents imaginé,
la morsure fatale ne l’effraie pas ;
autour de l’encolure, elle laisse aller le cuir fin.
Faut-il qu’elle demeure droite avec l’enfant qui gigote dans ses bras, qu’elle tienne la pose ? Sa douleur digne, la torture de pouvoir aimer
quelqu’un sans regard, un espoir dévoré.
*
Une couche de pétales, une roulotte,
un décor. Combien de temps s’était déroulé avant
qu’elle ne se réveille ?
Les rues ont des attributs d’animaux. Nous naviguons le soir dans les croissants, les culs-de-sac, divisons le firmament et l’enfer.
*
Une chorale, voilà ce que nous sommes
I can no longer associate myself*
Au matin, nous fermons les yeux,
nous soufflons sur la chambre à gaz et ses vapeurs ;
au lieu d’émerger purifiés
nous avançons au-delà de notre préhistoire,
lieux abandonnés, naufrages
suivis de résurrections improbables.
*
Des anges étêtés nous jugeaient derrière les draps
claquant au vent ; nous avions accepté l’âme
qu’ils nous avaient attribuée ; mortels, nous passerions
notre avenir dans un déluge, occupés à nous vêtir
de haut en bas, les femmes ficelées,leurs parures bouffantes, l’expression noyée des hommes ;nulle existence, une forme, un embrasement,
un gâteau de noces.
*
Ainsi, nous étions graves et accablés,
follement chéris par celles et ceux
dont le cadavre sommeille dans un champ de tir ;
un objet brillant, fleurs coupées
sur les tombes improvisées ;
ailleurs, un fusil, des initiales gravées sur une armature.
Visités par les abîmes, une préfiguration de notre austérité,nous fixons les ornements avec ce qui nous échappe. Nous refusons de laisser se consumer les cierges,de les souffler.
* Ira Levin, Rosemary’s Baby
Extrait de Comment nous sommes nés, Éditions Les Herbes rouges, 2018
L’autrice
En 2020, Carole David a reçu le prix Athanase-David pour l’ensemble de son oeuvre. Elle travaille sur un prochain recueil, dont le titre est Les purgatoires.