
Vicki
Chaque matin
La buée dans la douche
Et sa main qui apparaît dans la vitre quand je mets l’eau chaude
Nos références quétaines à Titanic
Ça me fait rire aux larmes
On ne se voit pas depuis des mois
On se croise des fois
Une relation à distance dans le même appartement
On a été chanceuses
On a déménagé récemment près de l’hôpital
C’est rough
De ne pas la voir comme je veux
Je travaille de jour
J’ai rencontré Laurie
Quand je donnais un cours d’arythmie
On l’a fait ensemble
J’ai toujours tripé sur l’actrice
Qui joue le personnage de Starbuck dans Battlestar Galactica
Une blonde aux cheveux courts
C’est comme ça qu’on s’est rencontrées
À un moment donné
Laurie était saoule et m’a écrit : je t’aime
On sort ensemble depuis trois ans et demi
Je lui prépare ses lunchs
Je lui envoie une nouvelle photo de notre chien Baptiste durant son shift
Notre grand épagneul ne comprend rien
Baptiste dans le salon
Baptiste au parc
Baptiste sur le pont Jacques-Cartier
On s’est fait tatouer le nom du chien sur notre poignet
Baptiste en lettres attachées dans la douche
Je la regarde rire de l’autre côté de la buée
Elle embrasse la vitre comme si elle m’embrassait
Elle rit encore
L’empreinte de ses lèvres contre le monde entier
Cette femme-là me fait voler
Je n’ai qu’une aile
Celle de gauche
Et c’est en masse
C’est assez d’aile contre le monde entier
Avec elle je ne tombe pas
Avec elle je n’ai plus besoin de tomber
Laurie
Je laisse des p’tits mots à Vicki
Elle est fâchée quand il n’y en a pas
Je déteste les surnoms amoureux
Vicki c’est Vicki
Si je lui dis mon amour
C’est parce que je le ressens à ce moment-là
C’est facile de tomber là-dedans
J’arrive de travailler toujours tard dans la nuit
Vicki est couchée
Je lui prépare son café
Je ne le pars pas
Elle a juste à appuyer sur le bouton
Je me lève vers 14 h
Vicki n’est pas là
J’ai encore hâte de souper à la cafétéria de l’hôpital
Aujourd’hui c’est la journée spaghetti
Tout le monde déteste la bouffe de la cafétéria
Moi je tripe ben raide même si c’est toujours le même menu
À Maisonneuve
T’as le droit à deux choix de plats chauds
Un jour
Ils ont changé de pâtissier
Je capotais
Puis la pandémie est arrivée
Les premiers mois étaient dark
Il n’y avait pas assez de places aux urgences
Ça débordait dans les corridors
La charge de travail était trop immense
On devait y aller par priorités
On manquait de soutien
On a dû faire des choix déchirants
Je rentrais le soir
J’essayais de me changer les idées
Je regardais des photos de Baptiste
À la fin de ta journée
Tu veux juste être encore heureuse
Comme dans les films joyeux
Comme deux personnes qui s’aiment
Et qui travaillent dans le même hôpital aux urgences
Comme l’envie d’avoir une famille
Avoir un enfant
Une petite fille qui triperait sur le spaghetti de ses mères
Une petite fille qui nous donnerait des becs
À travers la buée de la douche.
Dans la peau est une série mensuelle inspirée de témoignages de citoyens dont le quotidien est affecté par la pandémie.