Jean Kabuta: l’éloge comme solution à la déprime

Rimouski recèle plus d’un sage africain. C’est là qu’a élu domicile Jean Kabuta, créateur du kasàlà contemporain, version moderne d’une poésie ancestrale africaine.
« Je ne suis pas psychologue, mais je constate que c’est un outil extrêmement précieux pour réanimer l’être fatigué, l’être déprimé », raconte l’homme de 73 ans. Dans ces mots, la poésie du kasàlà se résume à l’art de l’éloge « basé sur le nom propre et ses ramifications ». « Quand je récite le kasàlà de la personne, je lui permets de voir plus clair en elle-même, je l’aide à progresser. »
Il prend pour exemple sa première rencontre avec cette tradition orale. D’abord accueilli par une famille belge à partir de l’âge de douze ans, il ne revient dans son Afrique natale qu’une vingtaine d’années plus tard. C’est alors que pour souligner l’événement, « ma mère a fait venir un poète pour dire mon nom, pour qu’ils me rappellent mon nom », raconte Jean Kabuta d’une voix douce. « Il est apparu que j’ai une infinité de noms, des noms poétiques, des noms de forces qui servent à célébrer. Et ces noms ont été récités pendant 4 heures ! Ça consistait à me relier aux miens, à me relier à mon territoire d’origine, à me relier aux autres, à me relier à moi-même. […] Par bonheur, j’avais enregistré tout le texte. Ç’a été une chance inouïe d’avoir ça. J’ai commencé à travailler à partir de ça. »
Il prend alors une pause avant de lancer un proverbe : « Lorsque tu as marché, tu dois pouvoir t’arrêter pour que ton âme te rejoigne. »
« Bouleversé » par cette relecture de sa personnalité, il retourne alors en Belgique pour décrocher un doctorat en linguistique africaine. Il n’atterrit en Amérique qu’en 2012 pour donner un cours d’été à l’Université du Québec à Rimouski. « J’étais venu pour 5 jours, et ça fait 8 ans que je suis là ! »
Charmé par le territoire, le Congolais d’origine confie que c’est le rapport aux autres qui l’attache au Québec. « Ç’a été difficile pour moi de me naturaliser belge, parce que j’avais le sentiment de me rallier au camp de l’oppresseur. »
Remède pour l’âme
Avant la pandémie, Jean Kabuta arpentait les écoles du Bas-Saint-Laurent pour offrir des ateliers d’initiation du kasàlà. « Quand je me suis retrouvé la première fois devant des petits de 4 -5 ans, je me suis dis, Kabuta là, tu vas te casser la figure. Mais, il y a un dieu des audacieux. J’ai trouvé une manière de faire et c’est devenu de plus en plus agréable. »
Aujourd’hui privé de ce contact physique, il n’en est pas moins actif. « Je n’ai jamais été autant sollicité qu’en cette période, ce qui me convainc de la pertinence du travail que je fais. » De Riga, à Seattle, en passant par Dakar et Kinshasa, les demandes d’ateliers à distance abondent. Quant aux tournées de classe, « fin février, en espérant que ça ne s’aggrave pas, on recommence dans plusieurs classes à Mont-Joli. »
Dans ces ateliers d’initiation, Jean Kabuta fait découvrir « un aspect de la pensée africaine absolument inattendu. En même temps, c’est l’occasion de retrouver son propre style. »
Il note que cette poésie de la louange se retrouve partout en Afrique subsaharienne sous des noms différents selon les pays. Or, dans sa version modernisée, « on ne se contente pas de pratiquer le kasàlà comme une démarche africaine. On s’en inspire pour créer du nouveau. On s’en inspire pour se retrouver soi-même. »
D’ailleurs, il trace un lien entre le terme « Ubuntu », l’art d’être humain, et « Kasàlà », l’art d’être vivant. « C’est une joie que je dois incarner. Quand je l’incarne, c’est mon corps qui est en joie. Ça ne signifie pas que je ne vois pas la souffrance, je la reconnais, mais je la transcende. Qu’est-ce que je peux faire pour que cette souffrance devienne un tremplin ? »
Extrait du kasàlà de Rimouski, écrit par Jean Kabuta
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