
Long poème d’hiver (2/2)

Parce que la place du monde
Ce n’est qu’une seule place
Et c’est déjà trop
Il y a trop de choses à faire
Déserter
Être gentil
Je dis :
Bonjour excusez-moi bonjour
Pardon désolé
J’essaye de faire
les bonnes choses
Pardon désolé
Je m’excuse
Je marche sans marcher
Mes ombres dans mes
blancs d’ombres
Je m’excuse
Bonne année
Je suis travailleur autonome
J’accepte les contrats
de tout le monde :
Écrire des poèmes
Déglacer les fenêtres
de ta voiture
Laver ton chat
Je ne prends jamais l’avion
mais j’aime les avions
Donnez-moi une journée
une bonne journée
Je la mettrai au congélateur
Aider son prochain
Qui est mon prochain ?
Qui veut être mon prochain ?
Aimez-vous les uns les autres
Aimez-moi comme
si je n’étais plus là
Je m’excuse
Je ne parle pas français
Je parle la langue du caissier
Je parle ton rire dans
le coin du divan
Je parle tes yeux
qui me regardent
Ta main sur la bouche
de tes yeux qui me regardent
Dehors il neige
La neige colle sous mes semelles
de bottes
Elles me font des talons hauts
Je me promène avec ma mère
au centre d’achat
avec mes talons hauts
Elle me parle à travers
son masque
comme si on était les meilleures
copines du monde
J’aime être la meilleure amie
de ma mère
Ma plante se meurt depuis
une semaine
C’est quoi son problème ?
Tout est fermé :
Mon cœur
Le prix de la lune
C’est ça la vie ?
Un zoom avec du vin blanc ?
Mon cœur ressemble
à un employé de la SAQ
Mes cheveux blancs
Mes cheveux argentés
Je suis un héros de manga
Un héros qui meurt
au premier tome
Et qui ne fait qu’un seul
bon move dans l’histoire
Doit-on soustraire le fleuve ?
Je ne me souviens plus
C’est un mauvais jour
Je veux te promettre
que tout ira bien
Je veux poser de la dentelle
dans les lignes de ta main
Je pense encore à Jésus
J’essaye de faire de bonnes
actions
Acheter des pantoufles
Faire des dons
Rire des blagues des autres
Être plus présent pour ma mère
J’ai peut-être perdu la neige
La bonne neige
La belle neige
La neige honnête
La neige heureuse
Je veux faire attention à toi
À toutes les neiges de toi
Il me reste
Assez de secondes
pour nourrir l’éléphant
dans ta voix
Il me reste
Une dernière chance
Je ne sais pas comment vieillir
Je perds la mémoire
C’est encore jeudi
Demain c’est le Nouvel An
Je suis peureux
Je suis de plus en plus peureux
J’ai peur de me coucher trop tard
J’ai peur du froid
Je vais m’étendre dans le lit
Il neige dans mon lit
Je suis un monolithe noir
Tu me réveilles très tôt le matin
La voiture est prise
dans un banc de neige
Je mets mon manteau
Je descends
Je pousse la voiture
La voiture se libère
Tu n’arrêtes pas
Tu ne te retournes pas
Tu sais que si tu arrêtes
de rouler
Je devrai encore pousser
Alors tu continues jusqu’au bout
de la rue
Tu tournes à droite
Tu ne reviens pas
J’ai les cheveux très blancs
J’ai encore
ce long poème d’hiver à finir.