Dernière bordée jeunesse de l’année

Dans cette sublime édition de «Bambi» écrit en 1923 par l’auteur autrichien, l’illustrateur Benjamin Lacombe évoque à travers ses tableaux le désir de «faire ressentir le danger et la peur qui étreignent ceux qui se sentent traqués».
Illustration: Albin Michel Dans cette sublime édition de «Bambi» écrit en 1923 par l’auteur autrichien, l’illustrateur Benjamin Lacombe évoque à travers ses tableaux le désir de «faire ressentir le danger et la peur qui étreignent ceux qui se sentent traqués».

Dans ce panorama riche en textes de tous horizons, on redécouvre Bambi, le vrai, celui de Felix Salten, tout comme la forêt, figure mythique par excellence des contes, mise en scène dans Le talisman du loup. On se rapproche de l’univers grâce à la sonde Voyager, puis on s’amuse ferme avec Les Quiquoid’Olivier Tallec et les Onze matous de Noboru Baba.

La vie dans les bois

 

« Depuis longtemps, je voulais, dans un livre illustré, traiter du mal absolu de l’antisémitisme. Un mal qui ressurgit toujours, sous une autre forme, ou de biais, comme les mille dangers de la forêt de Felix Salten. » Dans cette sublime édition de Bambi écrit en 1923 par l’auteur autrichien, l’illustrateur Benjamin Lacombe évoque à travers ses tableaux le désir de « faire ressentir le danger et la peur qui étreignent ceux qui se sentent traqués ».

Ainsi, le fusain, l’huile, les crayonnés offrent des scènes parfois lumineuses, parfois sombres, à l’image de cette vie incertaine dans les bois, où la découverte, la peur, l’apprentissage sont au cœur de cette grande aventure. Jouant par ailleurs de différentes perspectives, de doubles pages, de pliages prolongeant ainsi le décor au-delà du livre, Lacombe nous invite dans cette forêt aussi obscure que scintillante. Plus que l’adaptation bien connue réalisée par Disney en 1943, le texte de Salten est à (re)découvrir et à partager dans cette dimension formatrice et historique.

Avec Le talisman du loup, Myriam Dahman et Nicolas Digard explorent quant à eux l’aspect énigmatique et féerique de la forêt. Sombre, oubliée quelque part dans le Nord, peuplée de « vieux pins enchevêtrés », la forêt sert de refuge au plus « grand loup que la terre ait jamais porté, » mais aussi à une jeune femme à la voix « douce comme le parfum des fleurs, chaude comme une brise d’été ». Un jour, terrassée par la mort de son père, la femme cesse de chanter. L’absence provoquera une rencontre des plus improbables entre deux solitudes aussi sauvages que tendres.

L’écriture faite de phrases courtes, de dialogues tout naturels entre animaux et humains, reprend les codes du conte et plonge le lecteur dans un lointain où tout peut arriver. Les illustrations de Júlia Sardà épousent quant à elles avec grâce l’atmosphère à la fois envoûtante et intrigante qui émane du récit. La minutie du trait, l’abondance de détails — allant des poils du loup aux objets qui ornent la maison — et les variations de plans contribuent à donner vie à l’ensemble.

Histoire de s’amuser un peu

Dans la série interactive Les Quiquoi, Olivier Tallec frappe où il faut en combinant avec doigté rigolade, curiosité et sens de l’observation. Tout dernier de cette série, Avant-après met en scène des personnages tout aussi impertinents, étonnants que ceux des titres précédents. Une première page sans texte laisse voir une faune bigarrée s’adonnant au patinage. Sur la suivante, on retrouve quelques badauds qui figuraient sur la précédente ainsi qu’une question invitant les lecteurs à deviner qui était à la patinoire.

Grâce à un chapeau, la couleur d’un pantalon, une chevelure, la morphologie d’un personnage, l’œil averti parvient à résoudre l’énigme. Le jeu est renouvelé sur douze pages toutes aussi malicieuses qu’amusantes. Présenté dans un format rectangulaire, l’album s’ouvre par ailleurs non pas de gauche à droite mais de bas en haut, offrant une vaste perspective sur les scènes offertes. En plus d’épouser l’espièglerie et la non-conformité de la série.

Les éditions Le lièvre de Mars poursuivent leur belle lancée amorcée il y a deux ans en dépoussiérant des œuvres méconnues, oubliées, venues des quatre coins du globe. Après Onze matous dans un sac du Japonais Noboru Baba, on retrouve ces pétillants félins et un cochon dans un second opus publié par l’éditeur, Onze matous et un cochon. La joyeuse et insouciante bande prend ici possession d’une maison qui semble abandonnée jusqu’à l’arrivée impromptue d’un cochon qui croit se souvenir que son oncle y habitait. Un peu confus et chassé par les malins, il se bâtit une nouvelle demeure que les matous s’empresseront de lui voler.

La chute de l’histoire assure un effet des plus amusants et nous projette déjà dans une future aventure. Les illustrations fourmillent de détails qui ajoutent au récit, permettent au lecteur de faire des liens. Il y a notamment ce cadre représentant un cochon, indice quant au possible propriétaire, que les matous négligent volontairement. Une histoire irrévérencieuse, ouverte qui ne s’enfarge dans aucun compromis et fait confiance à l’intelligence du lecteur.

La nuit est pleine de promesses
★★★★
Jérémie Decalf, Amaterra, Lyon, 2020, 64 pages. 6-9 ans.

« Depuis la nuit des temps, on lève la tête et on se demande… Qu’y a-t-il là-haut ? » Quelques réponses se trouvent dans La nuit est pleine de promesses, un album de Jérémie Decalf qui explore avec simplicité et élégance l’univers de Voyager 2. La narration prise en charge par la sonde propulse le lecteur bien au-delà des nuages, aux confins de la nuit « profonde. Infinie ». Présentés sur des fonds noirs ornés de milliers de petits points étoilés, les tableaux offrent une traversée des plus étonnantes et enrichissantes qui dévoilent non seulement les découvertes réalisées grâce à Voyager, mais aussi ce qu’elle transporte, ce disque doré contenant des renseignements sur les humains. Précieux trésor gardé dans l’éventualité d’une rencontre, d’un partage. À découvrir.

Bambi | ★★★★ 1/2 | Felix Salten et Benjamin Lacombe, Albin Michel, Paris, 2020, 176 pages. 9 ans et plus. // Le talisman du loup | ★★★★ | Myriam Dahman, Nicolas Digard et Júlia Sardà, Gallimard jeunesse, Paris, 2020, 48 pages. 6 ans et plus. // Onze matous et un cochon | ★★★★ | Noboru Baba, Le lièvre de Mars, Varennes, 2020, 54 pages. 4 ans et plus. // Quiquoi avant-après | ★★★★ | Olivier Tallec, Actes Sud Junior, Paris, 2020, 25 pages. 2 ans et plus.



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