La grande histoire des petits biscuits Leclerc

L’histoire d’amour entre la famille Leclerc et Catherine Ferland, qui a récemment fait paraître Les biscuits Leclerc : une histoire de cœur et de pépites, commence en 2014. Il y a six ans, l’historienne et ex-critique resto au Devoir est convoquée auprès de Jean-Robert Leclerc, petit-fils de François Leclerc, fondateur de Biscuits Leclerc, qui souhaite coucher ses mémoires sur papier.
S’ensuit la parution d’On reconnaît l’arbre à ses fruits. Persévérer au-delà des épreuves : ma vie (Services Vita Hominis, 2015). Le président de la compagnie est si satisfait qu’il commande deux autres livres à Catherine Ferland : À 80 ans, oser voir plus loin (Services Vita Hominis, 2016) — dont un exemplaire a été remis au pape François — et François Leclerc (1865-1939) : biscuitier, entrepreneur et homme de cœur (Services Vita Hominis, 2018).
« On a beaucoup aimé travailler ensemble, confirme Mme Ferland, jointe par Le Devoir. Par la suite, je lui ai demandé la permission de faire des conférences sur l’histoire des Biscuits Leclerc et c’est là que je me suis rendu compte que les gens étaient intéressés par les livres. Or, les livres en question étaient des publications privées, destinées à la famille Leclerc et à ses employés. »
L’autrice demande alors la « bénédiction » de Jean-Robert Leclerc pour écrire l’histoire de l’entreprise fondée en 1905, l’une des rares entreprises agroalimentaires centenaires qui ne soient pas passées aux mains des Américains. Elle lui aurait même promis que son livre serait plus beau que celui de son conjoint, Dave Corriveau, L’histoire des p’tits gâteaux Vachon, 1923-1999 : de sucre et d’audace (Septentrion, 2019).
Une famille discrète
Richement illustré et fortement documenté, Les biscuits Leclerc : une histoire de cœur et de pépites remonte jusqu’aux ancêtres des Leclerc, originaires de Dieppe, qui s’installent à l’île d’Orléans au XVIIe siècle, où François Leclerc voit le jour en 1865. Attiré par la ville, il se rend à Québec, où il travaille notamment comme épicier et biscuitier. En 1905, âgé de 40 ans, il tente sa chance en fondant sa propre biscuiterie.
Si l’on connaît bien l’histoire des Alphonse Desjardins et Joseph-Armand Bombardier, le destin des Leclerc, qui, en cinq générations, ont traversé les deux guerres mondiales, la Grande Dépression, l’incendie du quartier Saint-Sauveur, les défis de santé et écologiques, et tiennent solidement le coup face à la pandémie, est à peu près inconnu du peuple québécois. Contrairement à leurs biscuits à la gelée, feuille d’érable ou pour le thé, dont la popularité ne se dément pas depuis plus de 100 ans.

« Il y a quelques membres de la famille qu’on a connus un peu plus, comme Jean Leclerc, qui a été député, ministre et brièvement président des fêtes du 400e anniversaire de Québec, mais sinon, c’est vrai que ce ne sont pas des personnes qui ont pris les devants de la scène, qui s’exposent dans les médias. Dans le Dictionnaire biographique du Canada, il y a une notice sur François Leclerc, mais c’est très sommaire », confirme Catherine Ferland.
Derrière la rigueur de l’historienne, qui a épluché pendant des heures et des heures des journaux et moult documents d’époque, on sent tout le respect qu’elle éprouve à l’endroit des Leclerc.
« À chaque époque, c’est fascinant de voir à quel point il y a une capacité d’adaptabilité, de résilience et de se réinventer. Ce n’était pas du tout prévu comme ça, mais mon livre sort à un moment où on a peut-être besoin d’entendre ce genre d’histoire inspirante, qui nous rappelle qu’on n’est pas les premiers à traverser des difficultés, que ce soit dans nos vies personnelles ou nos vies d’entreprises. C’est un beau message d’espoir à lancer. »
L’affection plus que la distance
Quand on connaît si bien son sujet pour l’avoir rencontré en chair et en os, n’y a-t-il pas danger de perdre toute objectivité historique ? « Je pense qu’en histoire, c’est difficile d’être 100 % objectif, admet Catherine Ferland, qui a préféré ne pas aborder dans son livre les quelques différends qu’il y a eu au sein du clan Leclerc. Cela dit, je pense avoir réussi à témoigner d’une histoire qui, elle, existe indépendamment de mon regard ou de celui de n’importe qui. Ce n’est pas un ouvrage publicitaire ni commandité. Et c’est important pour moi de le préciser. Oui, la famille Leclerc est contente de ce que j’ai fait, mais j’ai fait ce livre pour les Québécois ; je veux que les gens s’approprient cette histoire-là. J’ai essayé d’en rendre compte avec le plus de justesse possible, tout en ne cachant pas que j’ai beaucoup d’affection pour la famille et l’entreprise. »
« C’est un grand privilège et un plaisir exceptionnel, car j’ai eu accès à ce que j’aime bien appeler la mémoire vivante de l’entreprise, poursuit l’historienne. Jean-Robert Leclerc n’a pas connu son grand-père François, mais il a très bien connu l’époque où son oncle Albini et son père, Donat, étaient aux commandes. Il a pratiquement vu passer le XXe siècle ; c’était fascinant de l’entendre raconter toutes les grandes transformations. J’ai adoré l’expérience comme historienne et être humain. J’oserais même dire qu’étant entrepreneure en histoire, j’ai eu l’impression de connaître un super mentorat. »
Y aura-t-il une suite à cette histoire qui dure depuis six ans entre les Leclerc et madame Ferland ? « Je suis convaincue que ça pourrait faire l’objet d’une minisérie de quatre épisodes. Je suis ouverte aux propositions ! » conclut en riant Catherine Ferland.