«Une terre promise»: Obama devant l’abîme de la désinformation

Dans une entrevue accordée lundi au magazine The Atlantic, l’ancien président américain Barack Obama estime que la désinformation est désormais « la plus grande menace qui pèse sur la démocratie ». Et il pointe les réseaux sociaux comme un des vecteurs de cette maladie auto-immune qui s’abreuve à la source de la liberté d’expression.
« Les entreprises technologiques n’en sont pas entièrement responsables, le phénomène existant avant elles. Mais les médias sociaux l’ont turbocompressé », a-t-il dit, en ajoutant que le premier amendement de la Constitution américaine, sur la liberté de parole, n’exigeait pas « des entreprises privées qu’elles fournissent une plateforme pour tous les points de vue disponibles ».
Par exemple celui voulant que l’élection de Joe Biden le 3 novembre dernier soit le fruit « d’une fraude massive », comme le laisse entendre depuis l’élection le président américain sortant, Donald Trump. En contradiction totale avec la vérité et les faits.
L’un a succédé à l’autre à la Maison-Blanche, dans un pays qui, en une décennie à peine, n’aurait pas pu choisir plus éloigné comme dirigeant. Barack Obama ne s’est en effet jamais « départi d’un sentiment de révérence » chaque fois qu’il « pénétrait dans le Bureau ovale », « le sentiment d’être entré non pas dans [son] bureau, mais dans un sanctuaire de la démocratie », écrit-il dans ses mémoires, Une terre promise (Fayard), une brique de 850 pages lancée mondialement cette semaine.
À l’inverse, Donald Trump s’y est surtout illustré par ses actes d’intimidation, par ses appels à la haine de l’Autre et par les mensonges qu’il y a proférés pour manipuler ses partisans.
Le dernier sondage Reuters/Ipsos, dévoilé mercredi, indique que plus de la moitié des républicains estiment que c’est Donald Trump qui a remporté les élections et que 68 % se disent préoccupés par un dépouillement « truqué » des bulletins de vote. Aucune administration électorale, y compris dans les États républicains, n’a pourtant confirmé ces accusations, qui n’existent que dans la réalité parallèle construite par le milliardaire autoproclamé.
Un démocrate confondu
Naïvement, c’est avec « un certain respect » que Barack Obama, le démocrate, a vu poindre, après son élection en 2008, la percée de l’« authentique mouvance populiste au sein du Parti républicain », qui a été aux fondements de cette profonde dérive. À l’époque, le ballon était porté par le Tea Party, un mouvement politique conservateur opposé au plan de sauvetage économique du gouvernement Obama, dans la foulée de la crise financière de l’époque, puis mobilisé contre son projet d’assurance médicale universelle.
« Depuis le tout début de ma carrière politique, je n’avais eu de cesse d’exalter les vertus de la participation civique, en laquelle je voyais un remède contre les maux qui gangrenaient notre démocratie », écrit-il dans la rétrospective convenue de ses années au pouvoir. C’est sa troisième autobiographie. La première depuis qu’il a été président.
Il admettra au final avoir surtout assisté au commencement « d’un clivage des sensibilités politiques de l’Amérique, auquel nous sommes toujours confrontés une décennie plus tard », et ce, dans l’absurdité d’une désinformation à laquelle Barack Obama n’avait pas voulu d’abord accorder beaucoup d’importance.
C’est ce qu’il explique en parlant du « birtherism », cette théorie du complot remettant en question sa légitimité comme président des États-Unis en raison d’une naissance fantasmée par ses détracteurs dans un pays étranger. Barack Obama est pourtant bien né dans l’État d’Hawaï.
Donald Trump s’en est fait un des porte-voix, laissant entendre qu’il avait « fait des découvertes » sur des « informations cachées », dont il n’a jamais apporté la preuve. Obama, lui, a résisté à l’envie de répondre à de telles bassesses, avant de finalement publier son acte de naissance, contre l’avis de ses conseillers, devant l’ampleur médiatique que la chose était en train de prendre.
« La monnaie avec laquelle commerçait Trump, quoique superficielle, semblait prendre chaque jour un peu plus de valeur, écrit-il. Loin d’être ostracisé à cause des conspirations qu’il avait colportées, il apparaissait au contraire plus influent que jamais »
L’exercice du pouvoir
Jusque-là, Donald Trump n’était pour le président américain qu’un fanfaron qui avait proposé ses services à la Maison-Blanche pour colmater la fuite de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon en 2010, puis pour construire une tente pour les réceptions dans les jardins du pouvoir exécutif américain. Oui, oui. Les deux offres ont été déclinées.
Pendant que la figure de la téléréalité marchait doucement vers le pouvoir, Barack Obama, lui, y était confronté dans une réalité qu’il compare à celle des téméraires se jetant dans les chutes du Niagara dans un tonneau. « Vous vous sentez ballotté dans les remous, vous êtes sonné et désorienté, impuissant à reprendre pied, vous n’attendez plus que de toucher le fond en espérant, sans aucune certitude, que vous survivrez au choc », écrit-il à propos de la deuxième année de son mandat.
C’est que l’arrivée au sommet de l’État du premier président afro-américain a « déployé une dynamique politique » qui a « obnubilé » le nouveau président, écrit-il. Il parle ici de la « vitesse à laquelle les républicains se sont braqués, peu importe ce que nous disions ou faisions », mais, surtout, « combien cette résistance a biaisé la façon dont les médias et finalement le grand public ont perçu la substance de nos actions ».
Au fil des pages, la nature de ce projet littéraire et commercial ne laisse aucun doute : les mémoires d’un politicien sont surtout l’occasion de réaffirmer ses valeurs de base, tout en justifiant par des contraintes extérieures les politiques et ambitions qu’il n’a pas pu mener à terme. Et c’est ce que fait habilement Barack Obama avec une plume charmante qui éclaire sous un bon jour ce qu’il se doit, sans jamais aller bien plus loin que ce que l’Histoire avait déjà retenu de lui.
Pas de drame
Pas de grandes révélations. Des frustrations exprimées avec précaution. Pas de drame ni de règlement de comptes. Tout au plus y apprend-on que, pour Obama, Gordon Brown, le premier ministre britannique, « n’avait pas le panache politique de son prédécesseur », Tony Blair, ou que Nicolas Sarkozy, ex-président français, ressemble à « un personnage sorti d’un tableau de Toulouse-Lautrec ». « Les discussions avec [lui] étaient ainsi tour à tour amusantes et exaspérantes », écrit-il, en le qualifiant de « coq nain » à la poitrine bombée, cherchant au cœur de l’action tout ce dont il pouvait s’attribuer le mérite.
Avant d’ordonner des frappes aériennes sur la Libye, menacée par son dictateur, Obama explique avoir attendu que Kadhafi tente de négocier « sa fuite vers un pays tiers » pour y finir « ses jours avec les millions en pétrodollars qu’il avait envoyés sur divers comptes en Suisse. Mais manifestement [il] avait rompu ses derniers liens avec la réalité », écrit-il.
Anecdote : il déclenchera l’opération militaire américaine depuis le Brésil où il était en visite officielle, et ce, en passant par le téléphone cellulaire de son chef de cabinet Bill Daley, son équipe n’étant pas capable de lui fournir la ligne sécurisée idoine.
C’était la première intervention militaire qu’il engageait, en transmettant l’ordre « dans un appareil qui avait probablement servi à commander des pizzas », souligne-t-il avec légèreté.