J. K. Rowling, derrière la tourmente

Passé la controverse de cet été, J. K. Rowling revient en librairie avec son nouveau roman, «L’Ickabog». Publié chez Gallimard Jeunesse, le livre s’adresse aux enfants de 7 à 9 ans et se déroule dans le pays imaginaire de Cornucopia, un royaume où il fait bon vivre. Seule ombre au tableau, l’Ickabog.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Passé la controverse de cet été, J. K. Rowling revient en librairie avec son nouveau roman, «L’Ickabog». Publié chez Gallimard Jeunesse, le livre s’adresse aux enfants de 7 à 9 ans et se déroule dans le pays imaginaire de Cornucopia, un royaume où il fait bon vivre. Seule ombre au tableau, l’Ickabog.

Les fans de Harry Potter se souviennent des sorties de chaque tome. Les rassemblements, les foules immenses devant les librairies, les déguisements, la frénésie.

Pour les raisons sanitaires que l’on sait, la parution du nouveau livre de J. K. Rowling, L’Ickabog, ne donnera pas lieu à ce type d’activités. Mais l’effet demeure le même, assure Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse. « Un titre de Rowling, c’est un événement, absolument. Dans notre catalogue, L’Ickabog, c’est le plus gros de l’année. »

Néanmoins, le retour au roman jeunesse de l’écrivaine anglaise ne survient pas uniquement dans le contexte pandémique, il est aussi entouré de polémique. Celle causée par ses séries de tweets jugés transphobes. Notamment celui dans lequel elle s’est insurgée contre l’emploi de l’expression « personnes qui ont des menstruations ». Depuis sa publication en juin, la grogne ne s’est pas tarie.

En septembre, alors que le mot-clic #RIPJKRowling déferlait sur les réseaux sociaux, une lettre de soutien envers l’écrivaine signée notamment par Lionel Shriver est parue dans le Sunday Times. Quelques jours plus tard, Stephen King et Margaret Atwood faisaient partie des auteurs d’un texte apportant, quant à eux, leur soutien aux personnes trans.

« Chez Renaud-Bray, on ne prend pas position sur les controverses », dit Floriane Claveau, conseillère en communications et marketing. Elle assure que les appels au boycottage n’ont pas eu d’incidence sur les ventes de livres de J. K. Rowling. « On n’a pas vu un ralentissement majeur, on n’a pas vu de fléchissement. Pour ce qui est de L’Ickabog, nous avons commandé de très belles quantités. »

Hedwige Pasquet remarque à son tour qu’en France, « les ventes de Harry Potter pendant le confinement ont été en augmentation par rapport à l’année précédente ».

L’éditrice s’attend à un succès pour L’Ickabog, même si la sortie a dû être reportée à une date indéterminée dans l’Hexagone pour cause de librairies fermées. Malgré l’univers très différent de celui de Harry Potter, elle a retrouvé dans ce conte « l’imagination, le style, les dialogues, l’humour et les thèmes de prédilection de l’écrivaine. Que ce soit la famille, l’amitié, l’abus du pouvoir politique. Et la vague des fake news ».

En effet, ce sont les fausses nouvelles qui pousseront le roi Fred sans Effroi (en réalité, un poltron vaniteux) à partir combattre un monstre mythique. Le souverain sera entraîné dans sa quête par les deux autres monstres, véritables ceux-là, que sont ses conseillers cruels et mesquins. Tandis que la violence se fera frontale, des enfants s’allieront pour se dresser contre la vilenie et les mensonges des autorités.

L’éditrice a-t-elle lu ce roman différemment à la lumière de la controverse entourant sa créatrice ? « Pas du tout, répond Hedwige Pasquet. Il n’y a rien dans cette œuvre, ni dans Harry Potter, qui puisse faire allusion à cette situation. La liberté d’expression de J. K. Rowling, c’est une chose à laquelle nous tenons fondamentalement comme maison d’édition. Comme le dit Antoine Gallimard : nous condamnons toutes les discriminations. »

Des choses déplaisantes

 

Reste que certains lecteurs de longue date ne seront pas au rendez-vous. « Je vais vigoureusement ignorer ce livre », promet Vera Wylde, qui se présente également sous le nom de Nathaniel Wayne. À l’animation de la chaîne Council of Geeks, la youtubeuse de genre fluide décortique des œuvres clés de science-fiction et de fantastique, de Doctor Who à Star Trek, en passant par Harry Potter.

Au-delà des romans et de l’univers de Poudlard, ce que Vera Wylde a toujours aimé, c’est la communauté qui s’est créée autour de l’œuvre. Toutes les amitiés qui en sont nées. Mais l’an dernier, dans une vidéo qui posait la question « J. K. Rowling est-elle transphobe ? », la youtubeuse a « dû en venir à la conclusion que oui ». « Ce n’est jamais facile de découvrir des choses déplaisantes sur quelqu’un qui a créé quelque chose que l’on adore », nous confie-t-elle.

Récemment, dans une autre vidéo intitulée, en traduction libre, « Nous avons créé J. K. Rowling », la présentatrice de Council of Geeks aborde le sujet délicat de la façon dont le ton de certaines critiques adressées à l’écrivaine a pu la conforter dans ses opinions déjà tranchées. « Désormais, quand le ressac survient, elle semble chercher du réconfort auprès de ceux qui partagent ouvertement ses croyances. Ça devient presque un trait distinctif. »

Car, dans les derniers mois, J. K. Rowling semble s’être… « je ne dirais pas radicalisée davantage, complète Nathaniel Wayne. Par contre, elle semble incapable de partager des publications qui ne sont pas en lien avec ses sentiments au sujet des personnes trans. Ces sentiments se traduisent, du moins publiquement, dans presque tout ce qu’elle fait. Elle a sorti un livre, Troubled Blood, dans lequel un tueur en série s’habille en femme pour fuir la police. Elle a fait la promotion d’une petite entreprise qui vend des macarons et des signets avec des propos transphobes. » Ladite entreprise propose notamment des tasses marquées du slogan « Notorious Transphobe ». « C’est comme si ça faisait partie de son identité. »

En d’autres termes : « Ce n’est plus seulement la colline sur laquelle J. K. Rowling est prête à mourir, c’est la colline au sommet de laquelle elle est prête à construire le château de Poudlard. »

C’est pourquoi Vera Wylde a remisé sa collection de figurines de Harry Potter au grenier. Son uniforme aux couleurs de la maison de Serpentard, pull et cravate, prend la poussière au fond de son armoire. « Je ne veux pas que ces choses soient purgées de ma vie. Mais pour l’instant, je ne peux pas les regarder sans ressentir autre chose que de la déception. Je ne peux plus les voir sans entendre le bourdonnement de la transphobie de l’écrivaine résonner dans mes oreilles. »

Les livres relatant l’histoire du sorcier, pourtant, elle continue de les lire à sa fille. « De lui permettre d’entendre ces histoires de ma voix n’a aucun lien avec J. K. Rowling. Ça, c’est entre mon enfant et moi. »

Rencontres réelles

 

Enseignante au secondaire, Élyse Bourbeau a lu tous les Harry Potter. Pourtant, elle ne compte pas se plonger, elle non plus, dans L’Ickabog. « Pas juste à cause des idées de l’écrivaine, mais aussi parce que ce n’est plus vraiment le genre de livre que je lis à 38 ans. »

Surtout, dit-elle, elle est « passée à un autre appel ». « Je vais vous dire une chose : nous, les personnes trans, nous ne sommes pas là avec notre popcorn à suivre la vie de J. K. Rowling ! Je dénonce la personne, je dénonce les positions qu’elle a prises, mais je ne vois pas le fait de boycotter ses livres comme étant nécessaire pour appuyer les personnes trans. Pour moi, les appuyer, c’est s’adresser à elles avec les bons pronoms. C’est les soutenir dans leur lutte pour leurs droits. C’est dénoncer la transphobie. »

Élyse Bourbeau dit par ailleurs être fatiguée que le nom de l’écrivaine soit associé aux nouvelles concernant sa communauté. « Pourquoi, chaque fois qu’on parle des personnes trans, sur Internet ou dans les médias, c’est d’elle qu’on parle ? Ça détourne le discours. »

Portée par cette idée, la professeure montréalaise a décidé de ne pas « être en réaction face à J. K. Rowling, mais bien dans l’action ». « Sur mon [profil] Facebook, je veux faire de l’éducation positive, présenter de bons modèles. »

Elle mentionne Sarah McBride, première femme trans élue sénatrice dans l’État du Delaware, aux États-Unis, recommande des livres jeunesse comme ceux de Samuel Champagne ou de Sophie Labelle, et se tient loin des chicanes sur les réseaux sociaux. « J’ai zéro foi dans les débats sur Internet pour faire changer d’avis les gens. La seule façon pour ceux qui ont des positions comme J. K. Rowling d’avancer, d’évoluer, c’est de rencontrer les personnes concernées, de parler à des personnes trans, d’engager un dialogue. »

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