Ensemble parmi les autres

Rangée du haut: Stéphane Dompierre, Geneviève Lefebvre et Karine Glorieux. Rangée du bas: Fanie Demeule, Mathieu Villeneuve et Chrystine Brouillet.
Photo: Marie-France Coallier / Jake Wright / Valérian Mazataud Le Devoir, photomontage Le Devoir Rangée du haut: Stéphane Dompierre, Geneviève Lefebvre et Karine Glorieux. Rangée du bas: Fanie Demeule, Mathieu Villeneuve et Chrystine Brouillet.

Alors que la crise sanitaire nous contraint à l’isolement et à la distanciation, toutes formes de collaboration réchauffent le cœur. Ainsi, face à la vague d’ouvrages collectifs publiés cet automne au Québec — sept livres chez cinq éditeurs ! —, une sélection superbement diversifiée de récits, de réflexions et de nouvelles, sans oublier quelques images à faire rêver, on ne saurait retenir notre enthousiasme. Sensuelles et cruelles, fantaisistes et réalistes, science-fictionnelle et horrifiantes, campagnardes et urbaines, mais surtout intimes et politiques, ces fictions rassemblées donnent aux auteurs la possibilité de s’associer malgré la distance.

Grands espaces

 

Geneviève Lefebvre a dirigé La traversée des écrivains, un ouvrage publié aux Éditions La Presse dans lequel Anaïs Barbeau-Lavalette, Marie-Eve Cotton, Eric Dupont, Marie-Ève Sévigny et quelques autres nous entraînent en Gaspésie « par monts et par mots ». « La parution du livre arrive à point nommé, estime la directrice. C’est comme si j’avais eu un pressentiment, comme si j’avais deviné que le confinement nous attendait et que nous allions avoir besoin d’un hommage aux grands espaces, un livre qui permette, sans quitter son foyer, d’aller à la découverte de notre territoire. Avec les mots, les photos, les cartes, les dénivelés, l’aventure, la nature et l’intime, j’espérais créer des liens entre le paysage, les gens qui l’habitent et les lecteurs. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Geneviève Lefebvre

Publié aux Éditions Druide, Ponts réunit des nouvelles inspirées à douze auteurs — comme Marie-Eve Bourassa, David Goudreault, François Lévesque et Ariane Moffatt — par une œuvre photographique du Montréalais James Kennedy. Pour l’occasion, la directrice, Chrystine Brouillet, a eu recours à ce qu’elle n’hésite pas à appeler des complices : « Ils m’ont tous ravi en acceptant si spontanément de participer à cette aventure particulière. À partir de l’œuvre qui leur a été attribuée au hasard, ils ont donné vie, dans une fiction, à un pont du Canada ou des États-Unis. On navigue du fantastique au roman noir en passant par le métaphysique, de l’amour à l’amitié en faisant un détour du côté de l’humour. Il y a des pirates et des vertiges, des choix et des larmes, des rédemptions et de la poésie. »

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Chrystine Brouillet

Mondes parallèles

 

Paru chez Triptyque, dans la collection Satellite, Futurs permet à dix nouvellistes d’explorer ce que l’avenir nous réserve. Le directeur, Mathieu Villeneuve, rappelle que les auteurs de science-fiction affectionnent depuis longtemps la forme brève : « Cela s’explique peut-être par la grande liberté du genre. En quelques milliers de mots, il est possible de voyager dans le temps et dans l’espace, de remettre en question l’histoire et l’avenir, de désamorcer nos préjugés. La science-fiction n’est pas un genre mineur : c’est le genre de l’avenir ! Dans ce collectif, il y a une diversité de genres, d’orientations sexuelles, d’origines et de générations. J’ai aussi mêlé des auteurs connus à d’autres qui méritent de l’être davantage. » On peut notamment y lire Charles-Étienne Ferland, Catherine Côté, Ayavi Lake et Sylvie Bérard.

Photo: Jake Wright Le Devoir Mathieu Villeneuve

Stéphane Dompierre a dirigé D’autres mondes, quinze nouvelles d’horreur signées par autant d’autrices — dont Marianne Dansereau, Andrée A. Michaud, Élise Turcotte et Chloé Varin —, un livre publié aux Éditions Québec Amérique dans la collection La Shop, en plus de codiriger avec Véronique Marcotte la troisième mouture des Disparus d’Ély, fruit d’une résidence d’écriture, un ouvrage qui paraîtra le 3 novembre, également sous la bannière de Québec Amérique. « Cette vague de collectifs tient à l’esprit de communauté qui existe chez les auteurs de la relève, estime-t-il. En ce qui me concerne, c’est essentiellement l’occasion de réaliser un fantasme d’éditeur : je demande à des auteurs que j’admire d’écrire le livre que j’aimerais lire à partir d’un thème ou d’un genre. La nouvelle est un terrain de jeu formidable et le collectif un moyen unique de (faire) découvrir de nouvelles voix. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir

Stéphane Dompierre

Repousser les stéréotypes

 

Avec Krystel Bertrand, Fanie Demeule a dirigé Cruelles, un ouvrage paru chez Tête première. Dix auteurs — dont Marie-Jeanne Bérard, Marie-Pier Lafontaine, François Lévesque et Olivier Sylvestre — y abordent « la cruauté non négociée ou excusée des femmes ». « Le collectif est une occasion d’échanges dans un milieu qui tend à nous faire créer et discourir en solitaires, affirme Demeule. Je crois qu’il y a certainement une dimension sociale derrière ces projets d’anthologies. Personnellement, j’estime avoir la responsabilité de faire (re)découvrir des auteurs de talent. À mes yeux, un recueil équivaut à un assortiment d’échantillons de parfum de luxe : ce n’est pas parce que ce sont de petits formats que la qualité n’est plus au rendez-vous. Pour Cruelles, nous avons recherché le contraste des genres, des voix et des niveaux d’expérience, dans le but de multiplier les points de vue, d’offrir un collectif tout en reliefs et en nuances, qui va bien au-delà des stéréotypes. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir

Fanie Demeule

Karine Glorieux a dirigé Projet P, un ouvrage publié chez Québec Amérique dans lequel quinze femmes « racontent avec amour, humour et douleur, parfois, des histoires de pénis ». On peut notamment y lire Caroline Allard, Corinne Larochelle et Suzanne Myre. « En littérature, estime Glorieux, il est important de malmener les tabous. Le livre interroge les stéréotypes qui sont associés au sexe masculin et qui deviennent souvent un piège, tant pour les hommes que pour les femmes. Pour aborder ce sujet, entamer un dialogue, je voulais des styles variés, des autrices de générations différentes. Si ce n’est pas d’hier que les collectifs existent, je crois que leur nécessité est encore plus flagrante en ce moment. La création aura toujours besoin du contact des autres. »

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Karine Glorieux

 

La traversée des écrivains | Geneviève Lefebvre (dir.), La Presse, Montréal, 2020, 256 pages // Ponts | Chrystine Brouillet (dir.), Druide, Montréal, 2020, 248 pages /// Futurs | Mathieu Villeneuve (dir.), Triptyque « Satellite », Montréal, 2020, 228 pages //// D’autres mondes | Stéphane Dompierre (dir.), Québec Amérique « La Shop », Montréal, 2020, 320 pages ///// Les disparus d’Ély. Étrangers | Véronique Marcotte et Stéphane Dompierre (dir.), Québec Amérique, Montréal, 2020, 136 pages, en librairie le 3 novembre ////// Cruelles | Fanie Demeule et Krystel Bertrand (dir.), Tête première, Montréal, 192 pages /////// Projet P | Karine Glorieux (dir.), Québec Amérique, Montréal, 2020, 208 pages

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