Marc-Antoine K. Phaneuf, inventeur d’inventaires

Après des études en histoire de l’art, Marc-Antoine K. Phaneuf a développé une approche ludique et conceptuelle qui a vite débordé vers la littérature. Nourrie par son faible pour le «ready-made» et la citation détournée, sa pratique en art contemporain témoigne aussi d’un intérêt marqué pour la culture populaire nord-américaine.
Photo: Francis Vachon Le Devoir Après des études en histoire de l’art, Marc-Antoine K. Phaneuf a développé une approche ludique et conceptuelle qui a vite débordé vers la littérature. Nourrie par son faible pour le «ready-made» et la citation détournée, sa pratique en art contemporain témoigne aussi d’un intérêt marqué pour la culture populaire nord-américaine.

Drôlement inclassable, un peu informe, le livre ressemble à un inventaire fou de sagesses populaires, de phrases qu’on dirait toutes faites, de clichés usés à la corde, de raccourcis et de préjugés exprimés sans honte.

Autant répertoire de lieux communs que bêtisier ou collection burlesque de faussetés, le Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne de Marc-Antoine K. Phaneuf cultive à forte dose un humour plutôt pince-sans-rire.

Et les affirmations péremptoires défilent : « Les vrais hommes ne portent pas de tuque  » ; « Les bouchers n’aiment pas aller au zoo » ; « Les pigistes ne connaissent pas l’amour-propre » ; « Les étymologistes s’intéressent aux insectes » ; « Les ambulanciers passent la majeure partie de leur quart de travail cachés dans une petite rue ». Un raz-de-marée de mauvaise foi, de vérités plates et de mensonges hilarants qui déferle sur 300 pages.

Il y en a pourtant une qu’on ne retrouvera pas dans le livre : « Toute vérité n’est pas bonne à dire » C’est d’ailleurs plutôt l’inverse qui semble avoir guidé notre opérateur de manège extrême : toute vérité, même fausse, semble être bonne à imprimer.

« Je n’avais pas vu cet angle mort de la vérité », concède en riant Marc-Antoine K. Phaneuf, beaucoup moins péremptoire au téléphone que dans les pages de son livre détonnant. « C’est un livre sur lequel je travaillais depuis longtemps et le fait qu’il sorte en plein cœur d’un délire pandémique de théories du complot et de fake news, c’est assez fantastique. Il y a un beau hasard que je n’avais pas anticipé quand je me suis mis à ramasser ces phrases-là et à les noter dans mon carnet en 2009 », poursuit-il.

Esprit de bottine

 

L’idée lui est venue dans la foulée de Téléthons de la grande surface (Le Quartanier, 2008), sorte d’inventaire où tout est mal classé. En se questionnant sur la suite de ce projet, Marc-Antoine K. Phaneuf s’est dit qu’il pourrait être drôle de définir le monde en le fixant d’une manière très brute, en faisant la part belle aux idées préconçues et aux clichés — qu’il appelait à l’origine, dit-il, des « phrases autoportantes ».

« Après, c’est devenu une sorte de jeu avec le lecteur. L’idée était de lui offrir une matière cinglante, qui pouvait à la fois être drôle et politique. Mais toujours une matière qui pouvait porter à réflexion, dans un esprit de bottine et d’idiotie contrôlée. »

Ainsi, à côté de « Les fumeurs ont les dents jaunes » ; « Les laids travaillent mal » ; « Les Québécois qui prennent l’avion applaudissent à l’atterrissage » ; « L’emblème animalier de la Finlande est le Cthulhu » ou « Les gens qui ont le dessus du nez poilu ont confiance en eux », on retrouve « Tous les poètes rêvent d’avoir un casier judiciaire » ; « Les marionnettistes sont des lâches » et « Les musulmanes portent le voile en public pour ne pas perdre la tête ». Alors que certaines phrases portent à rire ou à sourire, d’autres font réfléchir. Et parfois, c’est tout cela en même temps.

« C’est un livre qui s’intéresse d’abord aux mots, explique Marc-Antoine K. Phaneuf. Je me demandais souvent comment activer ou désamorcer tel mot, telle image ou telle réalité. Qu’est-ce que je pourrais faire faire aux éboueurs, aux colibris ou aux Maghrébins ? C’est vite devenu un jeu. Surfer sur le cliché que tout le monde connaît, et que parfois onn’ose plus dire parce que trop convenu et faux, puis en faire un événement poétique. En faire quelque chose de plus intelligent, souhaitons-le, quelque chose qui ressemble plus à un acte de création. »

Le flou de la vérité

 

Né en 1980 à Saint-Hyacinthe, Marc-Antoine K. Phaneuf, après des études en histoire de l’art, a développé une approche ludique et conceptuelle qui a vite débordé vers la littérature. Nourrie par son faible pour le ready-made et la citation détournée, sa pratique en art contemporain témoigne aussi d’un intérêt marqué pour la culture populaire nord-américaine.

Faux babillard de petites annonces, collection de trophées sportifs, réassemblage des pages de romans Harlequin. Une sorte d’humour anthropologique dont ne s’éloignait pas Cavalcade en cyclorama (Le Quartanier, 2013).

Partout dans Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne les faussetés côtoient des affirmations véridiques — étonnantes ou inusitées. Un « accrochage » qui produit un effet de contraste ou qui ébranle les certitudes du lecteur qui, parfois, aura beau jeu d’aller lui-même vérifier les faits.

« La vérité est aujourd’hui devenue quelque chose de tellement flou, reconnaît l’auteur. C’est presque un mot qu’on pourrait qualifier de périmé, estime-t-il. Il y a plusieurs réalités qui font en sorte que le monde est complexe, il est dans des teintes de gris. Comme c’est l’absurde qui porte le projet, parler de vérité, c’est aussi dire que tout est noir et que tout est blanc. Et c’est être déjà dans un rapport au monde qui est un peu déphasé. La dichotomie vérité-mensonge, je la sens bien, oui, mais pour moi elle est plus de l’ordre de la fiction que du rapport au monde réel au XXIe siècle. »

Mais de nos jours, n’est-il pas devenu explosif de manipuler l’ironie ? Cette forme d’humour ne risque-t-elle pas d’être détournée par des gens qui ne veulent pas ou ne savent pas lire ? « J’espère avoir su tirer les ficelles assez bien pour que tout ça fonctionne comme un tout. Il y a des débordements, mais qui opèrent comme une masse plus grande que la sainte phrase qui aurait pu être écrite en graffiti sur un mur ou un tweet de nuit un peu saoul qu’on efface le lendemain. Mais il est vrai qu’il y a une part d’incertitude plus grande que pour mes autres projets », croit l’auteur, qui évoque comme modèle l’auteur-compositeur-interprète (et comédien) toujours déjanté Philippe Katerine.

« Il reste qu’il y a un jeu dans le débordement, et je ne sais pas à quel point tout le monde saura comprendre les limites du jeu », reconnaît Marc-Antoine K. Phaneuf, qui a tout de même eu la prudence d’injecter dans le livre son propre antidote : « Il faut se méfier des Marc-Antoine. »

Une petite dernière pour la route ? « On attrape le coronavirus quand on regarde un film de Tom Hanks. » Qu’on se le tienne le pour dit.

Aphorismes tordus, faussetés péremptoires ou vérités rabâchées, c’est avec une certaine jubilation, on le sent d’une page à l’autre, que Marc-Antoine K. Phaneuf joue habilement de l’effet de contraste. Toujours conscient aussi de la charge d’erreur et d’injustice que peut charrier le langage. Animé par une volonté d’amuser autant que de créer le malaise, Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne, autant qu’il peut nous faire éclater de rire, nous porte à réfléchir sur les préjugés et les expressions toutes faites. « Tous les livres se ressemblent », lira-t-on quelque part entre deux affirmations. Ou peut-être est-ce l’inverse ? Un livre inclassable et réjouissant, qui ne ressemble à aucun autre, et qui n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains.



Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne
★★★★
Marc-Antoine K. Phaneuf, La Peuplade, Chicoutimi, 2020, 368 pages

Carrousel encyclopédique des grandes vérités de la vie moderne

Marc-Antoine K. Phaneuf, La Peuplade, Chicoutimi, 2020, 368 pages



À voir en vidéo