Des fictions d’ailleurs enlevantes

Gallimard a frappé fort au mois d’août en lançant le très attendu roman de l’énigmatique écrivaine italienne, Elena Ferrante. Heureusement, le reste de la saison nous réserve d’autres agréables surprises.
De premières traductions de succès internationaux en passant par le retour de grands noms, la rentrée internationale nous réserve des intrigues palpitantes, des amours mouvementés et une panoplie de questionnements universels.
Ainsi nous parviendra le 17 septembre un nouvel opus du prolifique auteur britannique Ken Follett, Le crépuscule de l’aube (Robert Laffont). Il situe cette fois son intrigue à l’aube d’une nouvelle ère, avant celle de la saga à succès Les piliers de la terre.
En l’an 997, trois personnages voient leurs destins s’entrecroiser dans une Angleterre divisée, qui doit composer avec des attaques de Gallois à l’ouest, et de Vikings à l’est. Tous s’opposeront, au péril de leur vie, aux hommes de pouvoir qui exercent la justice au gré de leurs caprices. Addictif, comme ses prédécesseurs.
Une nature indomptable
L’écrivaine canado-britannique Joanna Pocock est établie à Londres depuis plusieurs années, mais ça ne l’empêche pas de rêver aux extrêmes et vastes territoires de l’Ouest américain, et à l’imaginaire frontalier qui y perdure. Bouleversée par les dérives écologiques de l’humanité, elle raconte dans Abandon (Mémoire d’encrier, 11 octobre) ce qu’il reste des paysages indomptés du continent, à travers des voix radicales qui témoignent de la fragilité de la vie.

Le froid impitoyable des mers glacées et des villages de pêcheurs de la Norvège prend vie sous la plume viscérale et immersive du romancier Kiran Millwood Hargrave. Les graciées (Robert Laffont, 25 septembre) se déroule en 1617, à Vardø, au nord du cercle polaire. Alors qu’une violente tempête s’abat sur le rivage, quarante pêcheurs gisent sur les rochers en contrebas, noyés, laissant aux femmes le fardeau d’assurer seules leur survie.
L’infinité vertigineuse des paysages du nord est aussi au cœur du nouveau roman contemplatif de Gyrðir Eliasson, La fenêtre au sud (La Peuplade, 10 septembre). Quelque part en Islande, un romancier réfugié dans un village au bord de la mer peine à écrire la suite de son récit.

Alors que les saisons se suivent à sa fenêtre, il entend à la radio des nouvelles d’un autre monde, peuplé de séismes, d’assassinats et de guerres. Une réflexion nuancée et poétique sur les crépuscules de la création.
Nombreux sont les imprévus qui peuvent se présenter lorsqu’on s’aventure en montagne. Dans Impossible (Gallimard, 20 septembre), nouveau roman de l’Italien Erri de Luca, une chute mortelle dans un sentier escarpé des Dolomites réveille des souvenirs depuis longtemps enfouis, ceux d’un passé révolutionnaire où engagement et amitié côtoient justice et trahison.
Les démons de l’enfance

La narratrice de Qui sème le vent (Bustet Chastel, 21 septembre) a dix ans et une imagination débordante, alimentée par les repas de famille, les travaux de la ferme et le croassement des crapauds. Or, un après-midi funeste sur la glace du lac brusquera à tout jamais son univers. Véritable succès de librairie aux Pays-Bas et dans toute l’Europe, le premier roman de Marieke Lucas Rijneveld livre un portrait bouleversant d’une enfance brutalement flétrie par le deuil et les non-dits qui l’entourent.
Dans Permafrost (Verdier, octobre), l’écrivaine catalane Eva Baltasar s’interroge avec un délicieux cynisme sur les vestiges de l’enfance et des individus qui l’ont habitée.
Prisonnière d’une terre perpétuellement gelée par le givre de son propre rejet, une femme se réfugie dans la lecture et la luxure pour se distancer à tout prix des femmes auprès desquelles elle a grandi, de leur cortège de mensonges et de leurs attentes hétéronormatives.
L’amour, la mort et l’entre-deux

Entre 2009 et 2011, l’auteur norvégien Karl Ove Knausgaar a publié Mon combat, six volumes autobiographiques inspirés du décès de son père et des rapports qu’il entretenait avec lui. Vendu à près d’un million d’exemplaires à travers le monde, ce cycle littéraire a fréquemment été comparé au travail de Marcel Proust.
En décembre, les Éditions Denoël publient le sixième et dernier opus de la série, Fin de combat, dans lequel l’auteur établit des parallèles intéressants entre sa propre existence et les grands événements du XXe siècle, principalement le nazisme.
Qui n’a pas déjà rêvé de connaître l’avenir, de savoir quand surviendrait le coup de foudre, ou encore la mort ? Ce fantasme paradoxal habite Les émotions (Éditions de Minuit, 14 septembre), nouveau roman à la fois philosophique et accessible de Jean-Philippe Toussaint.

Un ajout qui cadre parfaitement à l’œuvre de l’écrivain belge, connu pour son style et ses récits minimalistes dans lesquels les personnages — dignes représentants de la société du XXIe siècle — n’ont d’autres significations et obsessions qu’eux-mêmes.
Après la publication de l’essai-choc Comment ne pas être un garçon en 2017, l’humoriste et journaliste britannique Robert Webb se lance dans la fiction. La toute deuxième fois (XO éditions, 21 octobre) suit les aventures rocambolesques de Kate, une femme en deuil de son mari qui se retrouve subitement catapultée dans le temps, au moment de leur rencontre.
Connaissant la suite funeste, aura-t-elle le courage de revivre leur histoire ? Amateurs de télévision, sachez que les droits du livre ont déjà été acquis par la BBC.
Un roman choral bouleversant
Parmi les romans les plus poignants et singuliers de cette rentrée littéraire figure Fille, femme, autre (Globe, 7 octobre), mettant en scène un choeur polyphonique de douze femmes âgées de 19 à 93 ans imaginé par Bernardine Evaristo, écrivaine britannique et nigériane. Dans une scénographie multipliant décors et points de vue, s’étendant du XXe siècle à un XXIe siècle marqué par les mouvements #MoiAussi et #BlackLivesMatter, le livre lauréat du prestigieux Booker Prize donne voix à des âmes trop souvent invisibles, meurtries par l’exil et les confins éternellement figés des castes britanniques. À lire.