La poésie d'ici en cinq recueils choisis

Photo: Adil Boukind Le Devoir

Amour et dépendance

Poète et romancier punk du Nouveau-Brunswick, Daniel Leblanc-Poirier (Le cinquième corridor) clôt sa trilogie sur l’amour fusionnel et la toxicomanie avec Mélasse (L’Hexagone). À l’instar des précédents tomes, 911 (2017) et Fuck You (2019), l’auteur puise dans sa propre expérience afin d’illustrer les différents cycles de la dépendance aux opioïdes, les victoires comme les rechutes, les errances et les remises en question. Maniant avec agilité la langue râpeuse de la rue, Leblanc-Poirier exprime son amour et son désir envers l’être aimé avec d’étonnantes métaphores alimentaires. «  [S]ur le sofa de margarine / tes jambes contournent encore parfois / les principautés de ma timidité / je ne sais pas traduire les mots / que tu as cachés dans la citadelle / que tu logeais dans tes épaules / le soleil se couche / au bout de la baie des chaleurs / et le ciel ressemble au monochrome / d’un artiste de l’université Concordia / et dans un lit de lipides / je m’endors comme une tranche de baloney. » Le 30 septembre.


 

Plumes funestes

Alors que la violence suinte des poèmes de Tabloïd (2015), où « les lundis soirs / sont des choses qui arrivent / comme une balle perdue entre les deux yeux », c’est la mort qui plane au-dessus de chaque page d’Ornithologie (Le Quartanier), où les oiseaux tombent comme des mouches. « Un jour, j’ai trouvé un oiseau mort sur ma galerie. Mauvais présage ou cadeau du ciel ? Peu importe. J’avais trouvé l’incipit de mon prochain livre. Mais ça, je ne le savais pas encore », écrit Mathieu K. Blais dans son mot de présentation. Qu’a-t-il fait depuis la parution de Tabloïd ? Il a écrit des poèmes sur la mort, lu des histoires de revenants et des rapports d’autopsie, côtoyé des auteurs pessimistes et s’est replongé dans sa collection de notices nécrologiques. Macabre, diriez-vous. Pas tout à fait puisque le poète sherbrookois, détenteur d’une maîtrise en études françaises et d’un baccalauréat en criminologie, promet un livre « aussi léger qu’une plume d’oiseau » où il est question de la mort et de la naissance. Le 15 septembre.


 

Choeur de femmes

« [J]e nous vois en sexcam / comme un couple / a / mou / reux / on se bute mord jute / on fait ça juste toi pis moi à deux / on nous like jusqu’en Indonésie / au pays du Japon / en Corée de Pyongyang / on se scotche dans le fond de la tête des / voyeux / du porn / a / mou / reux. » Forte d’un roman (Quai 31, 2011) et d’un récit (Je ne sais pas penser ma mort, 2017), Marisol Drouin explore la poésie avec Lola et les filles à vendre (La Peuplade). Dans ce premier recueil, où les voix de ses protagonistes féminines font écho à celles, entre autres, de Gabrielle Roy, Toni Morrison et Nelly Arcan, la native de Baie-Saint-Paul propose une incursion dans l’univers de la prostitution et de la pornographie au travers desquelles elle exprime la difficulté d’y écrire, d’y dire, d’y aimer, d’y jouir et d’y exister de manière aussi frontale mais moins crue que Josée Yvon (Danseuses-mamelouk, Les herbes rouges, 2020). «  [M]aîtresse sans récit / revenir d’un sexe semblable au sien / cracher les os / trahir le texte. » Le 8 octobre.


 

Miroir, miroir

Vous rappelez-vous, dans Citizen Kane, la scène du hall des miroirs où l’image d’Orson Welles se multipliait à l’infini ? La prémisse de Vanités (Poètes de brousse), d’Émilie Turmel, évoque ce plan mémorable. Or, chez celle qui s’adressait à ses sœurs poètes — les disparues comme les contemporaines — dans son fracassant premier recueil (Casse-gueules, 2018), ce n’est pas la silhouette d’un homme en fin de vie ployant sous le poids du temps qui se réfléchit. Au contraire, il s’agit du visage d’une petite fille ayant toute la vie devant elle qui place sa coiffeuse face à celle de sa mère pour s’y mirer. De cette image hypnotique d’une femme en devenir confrontée à ses 1001 visages, la poète tire une réflexion sur l’écriture au féminin. « [J]e te demande quelle science / enseigne la beauté / si plaire est un art une lutte / un simple mécanisme de survie / ou quelque culte obscur / auquel on sacrifie / son premier visage. » Le 15 septembre.


 

Poésie céleste

Ayant réservé un bel accueil à son premier recueil, Une fin en soi (2104), Hugues Corriveau écrivait dans nos pages que le deuxième recueil de Michel Julien, Ce monde étrange où naître (2016), confirmait « sa grande capacité à percer le mystère de la survie, à persister en une langue très juste et un sens pertinent du vers libre à puiser ce qu’il faut de détermination pour perdurer dans la parole ». Après avoir écrit avec empathie sur les poètes et leurs sources d’inspiration ainsi que sur le pouvoir salvateur des mots, le poète au parcours peu ordinaire — il a travaillé longtemps en aéronautique — s’intéresse dans Un ciel sans preuve (Le Noroît) à la gouvernance par les nombres, à notre rapport à notre milieu, où la technologie l’emporte sur l’humain, et au décalage sans cesse grandissant entre la vraie vie et la réalité virtuelle. Tout cela avec humanisme et poésie. « [P]eu importe / la couleur / du rivage // le charbon flotte / sur l’eau de rage / qui est mienne. »
Le 27 octobre.

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