«La mariée de corail»: une enquête au rythme des marées

De Gaspé au parc Forillon, l’écrivaine fait écho à tous les sens. Elle épouse le rythme de la région, suit le cours glacial de sa marée d’automne, imprègne les pages de ses paysages époustouflants, de ses vents aux effluves gourmands.
Photo: Mathieu Rivard De Gaspé au parc Forillon, l’écrivaine fait écho à tous les sens. Elle épouse le rythme de la région, suit le cours glacial de sa marée d’automne, imprègne les pages de ses paysages époustouflants, de ses vents aux effluves gourmands.

« Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d’une âme qu’au fond de la mer », écrivait Victor Hugo, en 1838, dans son poème Moi, l’amour, la femme. Lorsqu’on sonde les eaux à la recherche de secrets enfouis, de vies transformées en corail, d’épaves envahies par les algues, de soupçons dispersés aux quatre vents sur la grève, c’est donc sur la terre, dans le cœur des hommes, que sont enfouies les vérités les plus bouleversantes.

Alors, lorsqu’une femme disparaît en mer, abandonnant derrière un homardier entouré d’une aura de mystère, les indices se dispersent, évanescents et intangibles, dans les histoires de pêcheurs où s’entremêlent légendes, souvenirs, filiations, honneurs et vieilles rancœurs.

Dans son roman La mariée de corail, qui fait suite à l’acclamé Nous étions le sel de la mer (finaliste au Prix littéraire France-Québec 2015), Roxanne Bouchard renoue avec Joaquin Morales — Mexicain d’origine qui œuvre dorénavant comme enquêteur dans le Bas-du-Fleuve — et avec les marées trompeuses de la Gaspésie, ses odeurs de sel, ses vagues qui se succèdent pour mieux effacer le passé et perpétuer le présent.

Malgré l’étrangeté de la disparition, l’enquêteur hésite à se lancer à la recherche de la capitaine Angel Roberts. Son fils vient tout juste de débarquer chez lui sans prévenir, le cerveau embrumé d’alcool, empreint du désespoir d’un homme qui a tout perdu ; un air qui contraint Joaquin à affronter ses propres démons.

Mais lorsque le corps de la jeune femme est rescapé des eaux, Joaquin Morales n’a plus guère le choix. Car Angel aussi est la fille de quelqu’un, et comme toutes les fiancées de la mer, elle ne laissait personne indifférent.

Au fil de ses recherches, il fait la rencontre de personnages tous plus colorés les uns que les autres, aux traits appuyés, mais attachants, reflets de l’iconique paysage qui les entoure, comme un clin d’œil à une région que les non-initiés ne reconnaissent que par le trou qui perce son rocher.

De Gaspé au parc Forillon, l’écrivaine fait écho à tous les sens. Elle épouse le rythme de la région, suit le cours glacial de sa marée d’automne, imprègne les pages de ses paysages époustouflants, de ses vents aux effluves gourmands qui « froissent la surface de l’eau » et la « transforment en drap de soie », de la rudesse de son fleuve, de sa lumière qui y « éparpille des pièces d’or » et de la sérénité de ses points de vue.

La péninsule se laisse entendre également à travers une plume ancrée et poétique, qui reflète à la fois les expressions joyeuses et reconnaissables entre mille des pêcheurs, les cris des goélands, le bric-à-brac des casiers à homards… et le silence des nuits au clair de lune.

L’enquête poétique, captivante, convole elle aussi avec les marées et ses mystères. Le récit se délie dans une cadence mouvante, d’abord imprévisible, avant de se révéler d’une logique implacable, mais difficile à capter, telle l’eau qui s’avance et se retire vers la berge selon les lois dictées par les corps célestes. Un roman parfait pour l’été.

Extrait d’«Une enquête au rythme des marées»

« En ville, il ne voyait jamais que le contour défini des immeubles, de la table et du dossier dessus. Là-bas, il fallait forcer les faits à s’emboîter, les empiler rapidement, dans des ordres divers, jusqu’à ce qu’ils finissent par ressembler au casse-tête du réel. Passé ou anticipé. Ici, les événements prennent une autre dimension. Un autre rythme. Ils s’imposent en contrepoint de l’horizon, s’impriment en transparence du paysage, et le mouvement précis, calculé, de la marée finit par les ordonner. Courir se révèle souvent inutile ; il faut […] calculer la force du courant et s’adapter à sa direction. »

La mariée de corail. La deuxième enquête de Joaquin Morales

★★★ 1/2

Roxanne Bouchard, Libre Expression, Saint-Eustache, 2020, 392 pages



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