De l’utilité de l’ONU, crise après crise

Depuis des semaines, plongé en pleine crise sanitaire, le Conseil de sécurité de l’ONU bloque l’adoption d’une résolution sur la pandémie de COVID-19, proposée par le tandem franco-tunisien.
Jusqu’à nouvel ordre, la Chine exige qu’il y ait une mention sur l’Organisation mondiale de la santé dans le libellé du texte et les États-Unis s’y opposent. On sait que le président des États-Unis, Donald Trump, a annoncé plus tôt qu’il retirait sa participation financière de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parce qu’il était insatisfait de sa gestion de la crise, notamment de l’attitude jugée complaisante de l’OMS envers la Chine dans ce dossier.
Il n’en fallait pas plus pour que revienne à la surface le débat sur la nécessité ou non de réorganiser ou de réformer les Nations unies, cette organisation créée en 1945, sur les entrefaites de la Seconde Guerre mondiale, avec pour mission de prévenir et de contenir les conflits mondiaux.
Jocelyn Coulon est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il vient de signer le livre À quoi sert le Conseil de sécurité des Nations unies ?, aux presses de l’Université de Montréal que l’on découvre alors qu’une large partie de la planète est en confinement ou en sort.
« La diplomatie française essaie de convaincre les États-Unis que l’urgence n’est pas de déterminer qui est le coupable, mais de venir au secours de la communauté internationale », explique Jocelyn Coulon en entrevue.
L’adoption d’une résolution sur la COVID-19 par le Conseil permettrait, ajoute-t-il, deux choses. « D’abord, elle enverrait un puissant message politique aux 193 États membres de l’ONU que la pandémie doit être prise au sérieux et que les cinq grandes puissances sont unies dans leur détermination de la combattre. Puis, elle permettrait de mobiliser des ressources financières, sanitaires et humaines, afin de faire face à la pandémie dans les pays les plus pauvres et les plus fragiles », dit le chercheur en entrevue.
Si les Nations unies peuvent déjà, à travers les institutions existantes, assurer un certain suivi de la crise, une résolution du Conseil de sécurité donnerait à cet effort « une impulsion » supplémentaire.
Quant à une éventuelle réforme de l’ONU, elle ne peut survenir sans l’accord d’une majorité des 193 membres, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant.
« Le Conseil de sécurité ne peut pas dessiner un nouvel ordre mondial et une nouvelle ONU. Un nouvel ordre émerge à la suite de l’effondrement de l’ancien, comme cela s’est passé après la Première Guerre, puis après la Deuxième Guerre », dit-il.
« Pour changer l’ONU, il faut d’abord avoir un nouveau projet, puis obtenir l’accord des 193 États membres, ou en tout cas d’une bonne majorité », dit-il. Or, ce projet n’a pas encore vu le jour.
Jocelyn Coulon a écrit ce livre alors que le Canada fait campagne pour être élu parmi les 15 membres temporaires du Conseil de sécurité. En principe, ces élections se tiennent le 17 juin à New York.
D’entrée de jeu, il y aborde les criantes inégalités de pouvoir entre les membres du Conseil de sécurité. En effet, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité que sont les États-Unis, la Chine, la Russie, la France et le Royaume-Uni ont non seulement un droit de veto sur les résolutions, mais ils n’ont pas besoin d’être élus.
Les 10 autres membres du Conseil de sécurité sont élus pour des périodes de deux ans, n’ont pas de droit de veto et doivent faire campagne après leur mandat s’ils veulent être réélus.
C’est ainsi que le Canada a perdu son siège au Conseil de sécurité en 2010, lorsque Stephen Harper était premier ministre, et qu’il tente de le regagner aujourd’hui.
Mais les deux postes auxquels le Canada pourrait être élu sont également convoités par l’Irlande et la Norvège. Et selon Jocelyn Coulon, ces deux pays ont fait preuve de davantage de leadership, notamment depuis le début de la crise de la COVID-19, que le Canada pour montrer aux autres membres leur intérêt.
Le débat sur l’inégalité criante entre les membres du Conseil de Sécurité n’est pas nouveau. Des pays comme le Brésil et l’Inde, notamment, réclament eux aussi d’occuper un poste permanent.
Pour Jocelyn Coulon, le problème est moins dans la forme et la structure de l’institution que dans la difficulté des pays à arriver à un consensus sur des questions cruciales.
En ce moment, par exemple, les États-Unis et la Chine sont « en compétition sur les plans économique, militaire et technologique, dit-il. La Chine est sur le point de déclasser les États-Unis et cela provoque nécessairement des tensions. En même temps, les deux pays ont besoin l’un de l’autre. Au Conseil, ils travaillent souvent en toute collégialité sur la prolifération nucléaire, la Corée du Nord, les missions de paix et bien d’autres sujets. Ils s’opposent sur la Syrie, la Palestine et le Venezuela. »
Dans le cadre de la crise de la COVID-19, le président américain, Donald Trump, s’est emporté contre l’OMS, qu’il accuse de manquer de sens critique envers la Chine, notamment en ce qui a trait à l’enquête entourant les débuts de la pandémie. Il a alors décidé de retirer la participation financière des États-Unis de l’OMS, soit 25 % du budget de celle-ci.
Pourtant, selon Jocelyn Coulon, ces déchirements au sein de la communauté internationale n’ont pas d’effets retentissants, à court terme, sur l’approche de l’ONU envers la pandémie.
Les États à travers le monde et les institutions onusiennes n’« ont pas attendu le Conseil de sécurité » pour agir dans le contexte de la pandémie. Mais ils pourraient « faire encore plus » si le Conseil de sécurité y mettait du sien.
Une versions précédente de ce texte affirmait que le Canada rivalise pour un siège au Conseil de sécurité avec la Suède et l'Islande. Il s'agit plutôt de la Suède et l'Irlande. Nos excuses.