«Le dernier assaut»: un héros très discret

Luc Bertrand reconstitue l’époque de sa plume élégante et sensible, tout comme il esquisse une trajectoire humaine empreinte de doutes, de tourments et, parfois, de honte.
Photo: Philippe Manning Luc Bertrand reconstitue l’époque de sa plume élégante et sensible, tout comme il esquisse une trajectoire humaine empreinte de doutes, de tourments et, parfois, de honte.

« La bravoure est quelque chose dont on ne peut ni parler ni écrire avec éloquence, c’est quelque chose qui s’accomplit », note le major Poulin dans 696 heures d’enfer avec le Royal 22e Régiment paru en 1946. C’est ce que montre cette nécessaire biographie du lieutenant Jean Brillant, illustre figure militaire canadienne-française, pourtant méconnue au Québec.

Né en 1890 dans le Témiscouata, Jean Brillant se porte volontaire pour le service outre-mer à 26 ans, en pleine Grande Guerre, synonyme de discorde nationale à l’époque. Avec l’éclatant 22e Bataillon canadien-français (aujourd’hui le Royal 22e Régiment), il combat notamment sur la crête de Vimy en avril 1917. Mortellement blessé durant la bataille d’Amiens, il reçoit, à titre posthume, la Croix militaire pour ses actions lors d’un raid survenu en mai 1918, puis, 11 jours plus tard, la rarissime et prestigieuse Croix de Victoria pour son héroïque conduite devant l’ennemi, les 8 et 9 août 1918.

La citation officielle accompagnant la décoration la plus élevée du Commonwealth évoque sa « bravoure exceptionnelle et [son] zèle infatigable dans l’accomplissement de son devoir lorsqu’il mena sa compagnie à l’attaque […] avec une intrépidité, une compétence et un esprit d’initiative extraordinaires ».

Créée en 1856, la Croix de Victoria compte 1355 récipiendaires, dont trois Canadiens français. Outre Brillant, le caporal Joseph Kaeble et le major Paul Triquet en furent décorés. À ces hommes d’exception, Luc Bertrand a consacré un ouvrage, Trois histoires de bravoure (PUL, 2015), dont cette biographie se veut un prolongement.

Effacé dans l’histoire

Le dernier assaut montre la place paradoxale qu’occupe Jean Brillant, « figure de héros dans une guerre impopulaire », au sein de la mémoire collective québécoise francophone. Certes, un pavillon de l’Université de Montréal, des rues et un parc portent son nom.

« Le décoré fait-il figure de patriote ou simplement d’homme brave, mais égaré dans ses convictions ? Est-il élevé au rang de gloire nationale ou sombre-t-il plutôt dans un oubli commode ou une indifférence tacite, favorisée par une ignorance collective largement répandue ? »

Pertinentes questions, car le Québec francophone n’a cure de ses héros militaires. Avançons que des publications comme celle-ci contribuent à un progressif renversement de perspective. Il s’agit là d’un devoir d’histoire. Pas de faire l’apologie de la guerre.

Luc Bertrand reconstitue l’époque de sa plume élégante et sensible, tout comme il esquisse une trajectoire humaine empreinte de doutes, de tourments et, parfois, de honte. De Jean Brillant, homme de pensée et d’action, il montre « les joies, les peines, la volonté de dépassement […], l’amour qu’il porte à sa famille et à son pays, la fierté qu’il a de servir au sein du 22e Bataillon, sa compassion à l’égard de ses hommes et son […] sens du devoir ».

Bertrand ne se limite pas à souligner que Jean Brillant fut un héros lucide et solidaire dans l’enfer des tranchées ; il l’élève, par touches successives, à ce statut exceptionnel.

Le dernier assaut. La vie du lieutenant Jean Brillant

★★★ 1/2

Luc Bertrand, Septentrion, Québec, 2020, 238 pages

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