«Athéna»: dans les coulisses de l’intelligence artificielle

Alors qu’ils participent à un concours international de robotique en Thaïlande, Sarah-Jo, Peter, Cat et Cédric, quatre adolescents québécois, profitent de leur périple pour visiter Athéna, une compagnie spécialisée dans le domaine. Mais leur présence sur les lieux suscite l’intérêt de deux chercheurs, qui voient en eux quelques potentiels d’expérimentation. S’amorce alors une aventure aussi périlleuse que délicate pour ces jeunes étudiants.
Élizabeth Turgeon a développé depuis un bon moment déjà cet art de mettre en scène des réalités difficiles et souvent méconnues des jeunes lecteurs. On se souvient de Captive, récit sur l’éprouvant génocide cambodgien, ou de Rohingyas, sur les conditions de ces exclus errants, des romans dans lesquels elle se plaçait avec rigueur et humanisme à hauteur de victimes.
Avec Athéna, tout juste paru chez Hurtubise, on retrouve toute cette justesse, cette propension à dépeindre un sujet délicat tout en assurant rythme et densité à l’histoire. Cette fois-ci, elle sonde de l’intérieur la complexité de l’intelligence artificielle, le pour et le contre, les risques de dérapages tout comme les avancées positives dans le domaine. Elle ponctue son écriture de faits tirés de l’actualité, souligne quelques cas réels, afin de mettre les personnages — et par ricochet les lecteurs — au courant de la nature des expérimentations qui se font dans le monde.
Au passage, l’autrice souligne le cas d’Alter, androïde créé par le professeur et roboticien Hiroshi Ishiguro, de l’Université d’Osaka, au Japon, ou encore de Sophia, humanoïde construite à Hong Kong activée en 2015 et naturalisée par l’Arabie saoudite. Ces faits sillonnent la première partie du roman, qui sert un peu à poser les bases de l’intrigue qui suivra.
La suite laisse voir les agissements d’Olga et de Pasternack, deux scientifiques poussés par l’ambition qui tendent à dépasser les limites éthiques en utilisant des cellules animales dans leurs expériences dans l’éventuel dessein de s’attaquer aux neurones du cerveau humain. Le tout afin de créer des cyborgs, ces êtres mi-humains, mi-robots. Bien que quelque peu caricaturaux et prévisibles, les personnages chercheurs permettent de saisir la frénésie et les fautes possibles entourant ce champ d’étude.
La force du roman de Turgeon tient surtout à cette capacité de creuser les questions et d’aller au-delà des a priori. L’autrice y arrive notamment grâce aux personnages de Fanny Beauvais, employée d’Athéna. Cette dernière permet de voir l’envers de la médaille, de remettre en question certaines expériences douteuses ou délicates entreprises dans l’entreprise de robotique. De même, la psychologue Micheline Bechner, dont le travail est d’observer la réaction des humains vis-à-vis des robots et de les guérir d’un éventuel attachement.
Dans un style très accessible, sur un rythme soutenu, parvenant à vulgariser la matière sans tomber dans le docufiction, Élizabeth Turgeon permet aux lecteurs de voir plus loin, de saisir à quel point l’intelligence artificielle participe déjà beaucoup du quotidien des gens tout en éveillant les consciences à ce qui s’en vient.
Extrait d’«Athéna»
– L’invention qui m’a le plus fascinée, c’est Gordon, poursuivit Sarah-Jo, un robot qui se contrôlait lui-même grâce à son cerveau biologique composé de neurones extraits d’un foetus de rat, ce qui lui permettait d’apprendre par la répétition : s’il se cognait sur un mur, il recevait une stimulation. Comme ça, il comprenait tout seul comment contourner l’obstacle.
– Merci, dit Isara. Tu dois tout de même savoir que cette expérience a été très controversée à cause de l’utilisation d’êtres vivants.
– Et pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? la questionna Sarah-Jo […]
– Parce qu’on vient brouiller la frontière entre le vivant et le non-vivant…, expliqua Isara. À quel moment un robot cessera-t-il d’être un objet pour devenir une personne avec tous les droits et obligations que cela comporte ? On pourrait se poser une autre question : allons-nous un jour sacrifier des humains pour obtenir des machines plus performantes ? Et dites-moi : qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ?