«La peur rouge»: le Québec au temps de l’anticommunisme

De 1917 à 1960, le Québec fut le théâtre d’une véritable chasse aux communistes, alors que « les fascistes canadiens n’ont été emprisonnés que pendant la durée de la Seconde Guerre mondiale », remarque avec justesse l’historien Hugues Théorêt dans cette éclairante et accessible synthèse de l’histoire de l’anticommunisme au Québec.

En suivant les sillons tracés, entre autres, par les Marcel Fournier, Denis Monière, Robert Comeau et Bernard Dionne, l’historien s’intéresse à ce phénomène peu étudié. Pourtant, « l’anticommunisme constitue une clé qui permet de comprendre le Québec ».
Celui-ci fut d’abord religieux. Avec Mgr Georges Gauthier et l’École sociale populaire, puis avec le cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, le clergé catholique de l’époque mena, dès les années 1920, une virulente charge contre l’ennemi numéro un, le communisme, tandis que le fascisme semblait toléré idéologiquement. À ce sujet, le cardinal Villeneuve affirmait en 1937 : « le fascisme italien est bien moins dangereux que le communisme ».
Propagande bien huilée
Citations savoureuses et iconographie à l’appui, Théorêt montre combien la revue L’œuvre des tracts et l’hebdomadaire L’Ordre nouveau, notamment, ont attaqué les communistes d’une plume fielleuse. Leur propagande dénigrante associait communisme et athéisme. La solution pour juguler la « peur rouge » ? La religion, « principal rempart qui préserve l’ouvrier canadien-français de [l’atteinte du communisme]. »
Le vent anticommuniste souffla particulièrement fort sur le Québec des années 1930, souligne l’historien. À la dimension religieuse s’ajoutèrent la répression, menée dès 1934 par les escouades policières anticommunistes mises en place par le gouvernement Taschereau, puis la sphère politique, avec l’élection en 1936 de l’anticommuniste convaincu, Maurice Duplessis.
L’année suivante, en pleine guerre d’Espagne, ce dernier fit adopter l’antidémocratique loi du cadenas, qui interdisait toute forme de rassemblement communiste au Québec et permettait l’arrestation d’une personne sur présomption de sympathie communiste. Des syndicalistes comme Madeleine Parent en pâtirent. Peu décriée à l’époque, la Cour suprême la déclara inconstitutionnelle en 1957.
Théorêt s’attarde sur un autre passionnant jalon de l’histoire de l’anticommunisme au Québec et au Canada : l’arrestation pour espionnage du député communiste Fred Rose, en 1946, lors de l’affaire Gouzenko, laquelle révéla l’existence d’un réseau d’espions soviétiques en sol canadien.
Ce premier épisode de la guerre froide au Canada accentua la chasse aux communistes durant la décennie 1950, avant que celle-ci ne s’essouffle avec la mort de Duplessis en 1959.
Disproportionnée par rapport à une réelle menace communiste, la « peur rouge » marqua le Québec avant d’être reléguée presque aux oubliettes avec la Révolution tranquille. Convenons avec Hugues Théorêt qu’elle « n’a été finalement qu’un épouvantail comme on en érige aujourd’hui dans divers champs de l’activité humaine pour faire fuir les indésirables ».