
À trois secondes de Paris

Hier
Je me suis acheté une plante tropicale chez Botanix
Et je l’aime autant que mon filleul
Est-ce que c’est mal ?
Près de chez nous
Le fleuve commence à geler
C’est beau à voir
Les berges ressemblent
à des ampoules
De la poussière d’ampoules
Des ampoules brisées
Des ampoules que je suis capable d’allumer le matin
Parce que l’interrupteur du fleuve est dans mon salon
Des fois je shake les lumières du fleuve
Des fois je me trouve drôle
Est-ce que c’est mal ?
Les vieux bonshommes à la retraite
N’ont pas encore installé leurs cabanes en bois
La pêche sur glace est tardive
Ils doivent s’ennuyer
Ça me rend triste
Je suis fragile
Je suis une boîte d’ampoules en paquet de deux
Est-ce que c’est mal ?
Le mois de février
Me fait toujours penser
Au Festival Feu et Glace
à Repentigny
J’ai travaillé là-bas pendant sept ans
Je devais remplir des cruches d’eau
Faire des allers-retours
pour remplir les machines à café des commerces
Je n’allais jamais assez vite
Réhel, t’es où ?
Y a pu d’eau, Réhel !
Elle est où l’eau, Réhel ?
Je ne répondais jamais au walkie-talkie
Je ne réponds toujours pas
Est-ce que c’est mal ?
Hier
J’ai refusé une autre invitation
Celle-là, c’était pour le festival de poésie à Berlin :
We would be thrilled to have you on board !
We can offer a honorarium of 1.000 EUR
for the participation in the project
And we cover travel costs
and can provide a hotel in Berlin
Je m’excuse, Karolina
Je suis une boîte d’ampoules en paquet de deux
J’ai fait la même chose
Quand le Festival de poésie de Montréal
m’a invité en Suisse
Jean-Paul Daoust m’en parle encore :
Réhel, t’étais où ?
Je lui dis toujours :
J’avais perdu mon walkie-talkie
Je le cherche encore
Est-ce que c’est mal ?
Je n’aime pas voyager
Je suis trop anxieux
Un pissou qui a la chienne de traverser la rue
Toujours mal au pied
Toujours des crampes au ventre
Je n’ai pas envie d’avoir l’air malade dans l’avion
Je n’ai pas le choix
de porter un masque d’oxygène à cause de l’altitude
Je n’ai pas envie de faire peur à tous les passagers
Il faudrait que je donne un walkie-talkie
à chaque passager pour leur dire :
Ne t’inquiète pas
Je suis pas malade
J’ai une plante tropicale chez nous
Est-ce que c’est mal ?
Hier
Google Maps Timeline m’a envoyé le bilan
de tous mes déplacements par courriel
Si quelqu’un tombe là-dessus
Il pourrait croire
que j’ai été séquestré
Ou que j’ai passé la dernière année en prison
Un prisonnier qui shake les lumières du fleuve
Le soir
Je marche au bout
de la rue Saint-Jean-Baptiste
Qui mène aux raffineries
de Pointe-aux-Trembles
Aux raffineries
Il y a tellement de lumières
On dirait des walkies-talkies
Des centaines de walkies-talkies allumés
Des lumières qui ne shakent pas
Des lumières qui ne grichent pas
Aux raffineries
Si on cligne des yeux pendant trois secondes
On se croirait ailleurs
Aux raffineries
Si on cligne des yeux assez vite pendant trois secondes
On se croirait à Paris
À trois secondes de Paris.